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Loi PACTE : une urgence, clarifier la responsabilité des parties prenantes

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Quelle responsabilité pour l’actionnaire vis-à-vis de l’entreprise, à l’ère du trading à haute vitesse ?
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Pierre-Yves Gomez, EM Lyon

La probable modification de l’article 1833 du code civil par la loi PACTE satisfera sans doute tout le monde. Si l’article stipule aujourd’hui que « toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés », la nouvelle rédaction introduira vraisemblablement la prise en compte de l’intérêt plus large des parties prenantes, au-delà de celui des associés. La principale difficulté consistera toutefois à trouver une formule équilibrée, à la fois suffisamment ouverte pour prévenir la multiplication des risques juridiques, et suffisamment précise pour constituer un progrès, au moins symbolique, sur la dimension « sociétale » de l’entreprise.

Éviter la caricature

Ceux qui pensent que la réécriture d’un article de loi peut suffire à modifier la réalité des affaires et changer, comme par magie, le fonctionnement du capitalisme seront probablement déçus par le futur texte. Il est vrai les caricatures auxquelles a été réduit le débat sur la vocation de l’entreprise ne favorise pas une appréhension sereine des enjeux. D’autant moins quand ces visions simplistes sont complaisamment véhiculées par certains médias grand public. Ainsi, en janvier, l’Express se demandait si la modification de l’article 1832 pourrait permettre de dire « adieu à l’entreprise pour le fric »). À la même période, sur Europe 1, on s’interrogeait : cette réécriture sonnera-t-elle « la fin de l’entreprise uniquement tournée vers les bénéfices ? ».

Poser l’enjeu en ces termes, c’est le manquer. Faire espérer que le toilettage d’un article du code civil vieux de deux siècles constitue le signal d’un bouleversement de l’ordre économique (fut-il « symbolique ») expose seulement à créer de la déception. Si la loi s’ajuste un peu mieux à la pratique (car dans les faits, les parties prenantes sont déjà prises en compte dans la définition de l’orientation d’une entreprise), ce sera déjà un progrès du bon sens, et il faudra s’en féliciter.

Quelle responsabilité pour les parties prenantes ?

Le véritable danger d’une telle réécriture du texte réside moins dans la désillusion qu’il pourrait susciter que dans l’excès de satisfaction qui accompagnerait cette « victoire symbolique ». Comme j’ai eu l’occasion de le défendre, la définition de la responsabilité de l’entreprise à l’égard de ses parties prenantes est un sujet intellectuellement intéressant mais politiquement secondaire dans le contexte actuel. À l’inverse, le véritable sujet concerne plutôt la responsabilité des parties prenantes à l’égard de l’entreprise ! Et, au premier chef, celle de ses actionnaires.

Si l’article discuté stipule que la société « est constituée dans l’intérêt commun des associés », la question d’actualité porte, en effet, sur cet « intérêt commun ». Je crains que l’élargissement de la notion d’associés aux parties prenantes, pour parfaitement justifiée qu’elle soit, ne détourne l’attention du sujet principal : comment se définit et se justifie « l’intérêt commun » des parties prenantes que l’entreprise est supposée réaliser ? Et quelles sont, en conséquence, leurs responsabilités dans la poursuite de cet objectif « commun » ?

Dans ce contexte, je plaide pour que la loi PACTE apporte d’abord des précisions sur la responsabilité des parties prenantes. À commencer, car c’est essentiel, sur la responsabilité des actionnaires.

Un contexte très différent du XIXe siècle

L’article 1832 du code civil stipule que des personnes s’associent en affectant « à une entreprise commune des biens ou leur industrie » (une définition qui peut convenir à toute partie prenante qui apporte soit des biens, soit son « industrie » c’est-à-dire, en termes modernes, ses compétences…). L’existence d’une « entreprise commune » constitue le cœur du sujet. Cela signifie, dans le lexique d’aujourd’hui, un projet par rapport auquel se définit non seulement l’entreprise mais aussi l’intérêt de ceux qui s’associent.

Lorsque l’article fut rédigé, au début du dix-neuvième siècle, des commerçants s’associaient pour monter une opération en commun, armer un bateau, exploiter une mine ou un procédé industriel. La responsabilité dans la réalisation du projet leur conférait le pouvoir souverain sur son organisation, pouvoir d’assurer sa continuité en légitimant les gérants chargés de le mettre en œuvre. Ce pouvoir souverain se traduit par trois droits associés à la détention de parts sociales : droit de vote aux assemblées générales, droit d’information et droit de se partager les résultats.

Ce contexte n’est plus tout à fait le nôtre. Non seulement l’entreprise est devenue, au-delà d’un projet, une organisation complexe impliquant de multiples parties prenantes, mais la responsabilité immédiate des associés portant le projet, si évidente au début, s’est diluée avec le temps. Depuis les années 1980, la financiarisation a porté aussi loin que possible ce processus de distanciation entre les actionnaires et l’entreprise. Les très grandes compagnies possèdent désormais un actionnariat international, éparpillé, sans affectio societatis, volontiers spéculatif ou considérant les titres comme un patrimoine indifférent au support économique que constitue « l’entreprise réelle ».

Avant tout, préciser le rôle de l’actionnaire

Il ne s’agit là pas d’une dénonciation morale mais d’un constat objectif : la dispersion des actionnaires, la réduction de leur responsabilité financière à leurs seuls apports pécuniaires et leur éloignement à l’égard de la réalité du travail dans les organisations ont transformé radicalement leur relation à l’égard de l’entreprise. On est très loin des associés commerçants du dix-neuvième siècle. Au point qu’il est aujourd’hui difficile de trouver une définition claire de la responsabilité des actionnaires.

Sur plus de 350 codes de gouvernance utilisés dans le monde aujourd’hui, très rares sont ceux qui, à l’exemple du code français Middlenext osent telle définition : « assumer la continuité de l’entreprise en confirmant, en dernier ressort, son orientation et en légitimant ceux qui en décident. » Pas étonnant que le dividende soit devenu le plus petit commun dénominateur pour définir « l’intérêt commun » des associés…

Pourtant l’actionnariat continue de détenir le pouvoir souverain sur les entreprises, par le maintien d’une fiction légale, comme s’il s’agissait encore de commerçants du début du XIXe siècle. C’est là que se tiennent l’anomalie et le danger pour les entreprises comme pour la société. Et c’est donc là que la loi doit intervenir de manière urgente : préciser le rôle et la responsabilité de l’actionnaire dans le contexte d’aujourd’hui. Cette clarification est même préalable à l’élargissement des associés aux « parties prenantes » de l’entreprise. Car un tel élargissement risque d’accroître la confusion et l’irresponsabilité généralisée s’il ne se fonde pas d’abord sur une définition juridique du rôle de l’associé.

Le code Middlenext, un bon point de départ

Puisque la soft law française a déjà introduit cette définition depuis 2009 dans le code Middlenext, la loi PACTE pourrait reprendre très simplement l’acquis de ce texte et compléter l’article 1832 du code civil en stipulant que « les associés assument la continuité de l’entreprise en confirmant, en dernier ressort, son orientation et en légitimant ceux qui en décident. Cette responsabilité se traduit par trois droits : le vote aux assemblées générales, le droit d’information et le droit aux dividendes. » Les dividendes sont rappelés comme la rémunération légitime d’un engagement pour la continuité de l’entreprise et non le droit d’y puiser comme dans une tirelire.

Pour participer à la définanciarisation des entreprises, cette clarification serait plus utile et plus courageuse qu’un simple élargissement de la responsabilité de l’entreprise aux parties prenantes. Elle permettrait donner une base juridique au rôle de ceux qui, d’une manière ou d’une autre, « affectent à une entreprise commune des biens ou leur industrie. » Le court-termisme pourrait être réduit en formulant que, pour que l’entreprise serve un intérêt commun, elle nécessite le souci de sa pérennité de la part de ceux qui détiennent le pouvoir de l’orienter.

The ConversationOn pourrait ainsi finalement remettre les choses dans le bon ordre : il n’y a pas d’entreprise responsable sans une responsabilité partagée de ses parties prenantes… pour qu’elle se poursuive en tant qu’entreprise.

Pierre-Yves Gomez, Professeur, EM Lyon

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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Li_BinLa Chine a ainsi introduit la RSE dans sa législation dès 2005, lors de la réforme du droit des sociétés. En dépit de cette législation, les initiatives en faveur de la RSE se développent surtout sous l’impulsion d’agences étatiques.

L’influence des entreprises elles-mêmes, des ONG et des syndicats reste encore marginale, alors qu’en Europe, ces trois types d’acteurs jouent un rôle crucial dans le développement de la RSE, qu’il s’agisse de l’élaboration des normes ou de leur mise en œuvre. Entre ces deux modèles, il s’agirait peut-être aujourd’hui de trouver un équilibre entre d’une part un monopole étatique empêchant le développement d’initiatives volontaires en matière de RSE, et une liberté trop grande laissée aux acteurs privés en Europe de s’autoréguler sur ce sujet ?

 Entretien avec le Professeur Li Bin, Professeur de droit à l’Université Normale de Pékin, sur l’évolution de la RSE dans le contexte chinois.

 

Comment la RSE se manifeste-t-elle en Chine ? A travers des contraintes légales ou des actions des entreprises elles-mêmes ?

Li Bin (LB) : Ces dernières années, nous avons pu observer une évolution de l’intérêt pour la RSE en Chine. La loi sur les sociétés a d’ailleurs été révisée en 2005 pour leur imposer d’assumer leur responsabilité sociale. Cette loi reste toutefois très « molle » car aucune sanction n’est prévue à l’encontre de sociétés qui ne la respecteraient pas. Ce sont surtout les autorités publiques locales et centrales finalement qui incitent les entreprises à adopter des actions pour réaliser leur responsabilité sociale et se conformer ainsi à la loi. Ce sont donc principalement les entreprises étatiques qui sont visées par ces dispositions. Dans la réalité, les petites et moyennes entreprises ne sont que très peu visées par ce texte, dès lors que peu d’action gouvernementale les y incitent.

Peut-on constater une différence de traitement entre les entreprises privées et les entreprises publiques ?

LB : Les autorités publiques ne cherchent pas à inciter les entreprises privées à respecter la loi. En revanche, dès lors qu’elles sont cotées en bourse, elles seront dans l’obligation de publier un rapport annuel dans lequel l’entreprise devra renseigner certaines informations concernant sa performance en matière de RSE. Mais ce sont alors les commissions boursières qui exigent cette publication.

De manière générale donc, la mise en œuvre de la responsabilité sociale des entreprises privées, non étatiques, est très libérale. Certaines entreprises, non visées par les textes juridiques, ont pris par exemple l’initiative de publier leurs rapports en matière de RSE. Cette publication reste toutefois encore très promotionnelle et permet avant tout à ces entreprises de promouvoir leurs activités commerciales. La RSE s’inscrit alors davantage dans une stratégie de publicité.

La réalité de la mise en œuvre de la RSE en Chine par rapport à d’autres pays, c’est qu’il n’y a pas de véritable contrôle juridictionnel. Les consommateurs ou autres acteurs concernés par la RSE n’ont pas de voies juridiques pour contester les rapports, par exemple. Il n’y a donc pas de véritable contrôle exercé par la société civile sur les entreprises de manière générale. Cela reste très compliqué.

Est-ce que les associations se positionnent sur ce sujet aujourd’hui en Chine ?

LB : Les associations de la société civile commencent à prendre l’initiative d’évaluer les rapports publiés par les entreprises mais elles restent très marginales. Très peu d’associations s’impliquent aujourd’hui dans l’évaluation des rapports des entreprises et dans leurs critiques.

Est-ce que la loi de 2005 obligeant les entreprises à assumer leur responsabilité sociale a favorisé le développement des relations entre les associations et les entreprises sur les questions environnementales, de droit du travail ou en matière de droits de l’Homme ?

LB : Quelques associations chinoises travaillent sur ces questions mais leurs relations avec les entreprises ne sont pas très critiques. Les associations ne dénoncent pas les activités des entreprises aussi facilement qu’en Europe. Les quelques évaluations des entreprises chinoises qui existent et qui sont réalisées par des associations, restent souvent positives. Peu d’associations chinoises révèlent les pollutions de telle ou telle entreprise comme ce peut être le cas en Europe par exemple. Les plus critiques sont peut-être celles qui sont engagées dans la défense des droits des consommateurs.

Constatez-vous une influence des associations étrangères sur les associations chinoises travaillant sur les enjeux couverts par ces questions ou pas du tout ?

LB : Oui mais par des biais indirects. Il existe peu d’associations étrangères qui travaillent spécialement sur ce domaine et qui évaluent les performances sociétales des entreprises chinoises. En revanche, des associations étrangères forment des membres d’associations chinoises sur ces questions. De nombreux échanges ont lieu également entre elles. Cette montée en compétence ne suffit pourtant pas à ce que les associations chinoises deviennent influentes sur les politiques des entreprises chinoises. Et puis les autorités chinoises sont de plus en plus prudentes sur la présence des associations étrangères en Chine. Enfin, pensons aussi aux entreprises étrangères qui viennent en Chine et qui affichent des politiques responsables. Elles pourraient elles aussi former et sensibiliser les partenaires commerciaux et les employés à la RSE. La Chine est loin de voir un mouvement social se former autour de la RSE.

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