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Archive for the ‘Comportement sur les marchés’ Category

Daniel Cohen, professeur de sciences économiques à l’ENS et auteur de l’ouvrage « Il faut dire que les temps ont changé », a revisité l’histoire économique des pays occidentaux depuis leur entrée en phase de désindustrialisation afin d’expliquer la détérioration du lien social dans les sociétés actuelles, née selon l’économiste de l’effondrement de la civilisation industrielle et de sa transformation en une « civilisation algorithmée déshumanisante ».

Le propos de Daniel Cohen se fonde sur les points communs paradoxaux des craintes et des critiques faites à l’encontre de la digitalisation de la société avec celles que soulevaient son industrialisation.

En effet, si la société industrielle d’après-guerre évoque aujourd’hui encore une époque faste – que ne saurait mieux qualifier la célèbre expression de « Trente Glorieuses » de Jean Fourastié – en son temps, celle-ci inquiétait à l’époque autant que la société dite « digitale » d’aujourd’hui.

La critique, portée notamment par Roland Barthes dans ses Mythologies ou encore Herbert Marcuse avec L’Homme unidimensionnel, n’est déjà pas tant économique que sociale et culturelle. Elle s’oppose à un fonctionnement aliénant causé par l’industrie où l’homme s’oublierait à force de répétitions ; elle déplore également la perte de création en raison de l’ « abêtissement cultivé par une télévision poussant à  la consommation.  ».

Loin d’être rassurante selon Daniel Cohen, cette assimilation des critiques faites à deux époques éloignées révèle l’inquiétante situation dans laquelle se trouvent les sociétés post-industrielles dont les appréhensions n’ont eu de cesse de se renforcer.

La désindustrialisation a conduit à une perte du lien social.

L’organisation de la société industrielle favorisait auparavant  une forme d’unité entre tous les segments de la société (« une société liant, de manière rigide mais solidaire, les dirigeants d’entreprise et les ouvriers à la chaîne, en passant par les ingénieurs et les contremaîtres ») a progressivement été disloqué à force d’externalisation, créant une dissociation des différentes couches sociales.

Par ailleurs, Daniel Cohen remarque que la montée des inégalités s’observe dans tous les pays, riches ou pauvres, avancés ou émergents.

Outre le phénomène de désindustrialisation, le lien social au sein des sociétés occidentales est également mis à mal par des caractéristiques inhérentes à l’ère digitale.

A l’aliénation de l’industrie s’est substituée la déshumanisation du numérique. Daniel Cohen explique cette dernière en citant Jean Fourastié qui, dans Le grand espoir du XXème siècle, décompose l’Histoire humaine en trois phases : une première consistant à cultiver la terre, une seconde depuis la fin du XVIIIème siècle reposant sur le travail de la matière et la phase actuelle, celle de la société de services, où l’homme est devenu matière première.

Or, Daniel Cohen explique que cette dernière phase est par essence incapable de créer de la croissance. Selon lui, la valeur du bien qui est produit se mesurant au temps consacré à autrui, le processus de production que la civilisation industrielle avait su massifier grâce aux machines en dégageant plus de gains de productivité bute aujourd’hui sur la finitude de ce temps incompressible « qu’il faut par exemple au coiffeur pour réaliser une coupe de cheveux ».

Les nouvelles technologies ont permis de répondre au blocage de la croissance à un point stationnaire et ce en changeant la nature humaine : l’homme n’est désormais plus assimilé à un être fait de chair mais un être numérisé, un système de données pouvant être traités à distance.

Ainsi, Daniel Cohen attire l’attention sur le fait que le passage du travail « à la chaîne » au travail « en ligne » ne s’est pas fait sans un nouveau processus de déshumanisation.

A l’instar de l’ère industrielle, la société digitale se pose la question de sa sortie du monde du travail et du capitalisme en raison de la place croissante des nouvelles technologies dans nos modes de production. DanielCohen imagine deux scénarios :

  • Un scénario, inspiré du film Her de Spike Jonze, où un nombre croissant de tâches serait réalisé par des algorithmes et où le travail se ferait de plus en plus rare au sein des classes moyennes – les services dispensés par des hommes devenant des privilèges. Un scénario jugé « insoutenable d’un point de vue démocratique et humaniste ».
  • Un second scénario où les technologies parviendraient à trouver des complémentarités avec le travail humain afin d’accroître sa productivité. Selon Daniel Cohen, c’est le scénario qui a primé jusque là et qui devrait par conséquent s’installer. Néanmoins, il signale que la difficulté réside aujourd’hui dans le fait qu’ aujourd’hui les innovations ne soient pas réalisées au sein des entreprises mais hors les murs (à la Silicon Valley, par exemple) par des entreprises dont le modèle économique aurait tout intérêt à suivre le premier scénario.

Daniel Cohen a conclu son propos sur l’épreuve que représente le passage des sociétés occidentales d’une société industrielle à une société digitale, cette fois pour les pays émergents – et principalement les moins industrialisés. Ces pays doivent effectivement désormais faire face à une concurrence des nouvelles technologies. Par ailleurs, ces pays se confrontent au risque du « leapfrog » (ou « saut de grenouille » qui désigne l’idée de parvenir à un objectif sans passer par les étapes intermédiaires grâce aux nouvelles technologies). Revenant à l’idée selon laquelle, sans les nouvelles technologies, la société digitale n’est pas créatrice de richesses – la croissance se faisant par l’industrie – Daniel Cohen explique que ces pays pourront difficilement faire l’impasse de l’industrialisation de leur société.

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Oeconomicae et pecuniariae quaestiones. Voilà un texte majeur, inédit dans la longue histoire de la Doctrine sociale. Les questions financières ont été déjà abordées par le magistère de l’Eglise, mais de façon succincte.

Cette fois nous avons affaire à un texte de fond consacré à ce seul sujet. Évoquons-en les points les plus marquants.

Fondements

Le texte puise aux fondements de la Doctrine sociale. Dans la perspective d’une civilisation de l’amour, l’Eglise propose une idée de l’homme et une perspective éthique à valeur universelle, et que le non croyant peut parfaitement reconnaître et assumer.  Deux de ses thèmes essentiels sont l’importance centrale de l’éthique, et le besoin de régulation. Ce dernier résulte d’une double limite des marchés : à s’organiser par eux-mêmes, d’où les crises, et à donner un résultat éthiquement satisfaisant. L’éthique en question, elle, se fonde sur une anthropologie opposée à la vision dominante, individualiste et instrumentaliste : l’être humain comme être de relations. L’économie est alors réinsérée dans le tissu des relations humaines dont elle n’est qu’un aspect, et subordonnée au plein développement de ces personnes dans leurs relations et leurs communautés. L’ignorer est source d’inégalités et plus encore d’exclusion (la culture du rebut que souligne le pape François).

Ce qui conduit le texte à souligner l’importance de la responsabilité sociale de l’entreprise. On tend en effet trop souvent à percevoir l’éthique comme extrinsèque, et l’entreprise comme au service des seuls actionnaires. Cela conduit dit le texte à encourager par leur rémunération les collaborateurs avides et peu scrupuleux et à des prises de risque excessives. Inversement, de façon hardie, il souligne la possibilité d’un cercle vertueux entre le profit et la solidarité.

Mais dit-il la crise a été une occasion perdue sur le plan éthique, car les dominantes actuelles n’ont pas été remises en cause. Il en appelle dès lors à un renouvellement profond du regard.

Questions concrètes

Mais ce n’est pas le marché comme tel qui est en cause. Le texte rappelle que les marchés sont fondés sur la liberté humaine, et il en déduit que de ce fait ils sont soumis à l’éthique. Le marché est à voir comme un grand organisme, dont la santé dépend de celle des actions individuelles mises en œuvre. Mais en même temps, par eux-mêmes les marchés ne peuvent produire les qualités humaines et éthiques dont ils ont besoin, ni corriger leurs effets nuisibles (environnementaux, sociaux etc.). Le texte souligne l’utilité des marchés financiers, mais aussi les effets nocifs de la ‘spéculation’ qui éloigne de l’économie réelle, notamment au détriment du travail. Cela peut aller jusqu’à l’utilisation de rapports de force pour faire des gains injustifiables. L’exemple est donné de la spéculation qui « provoque une baisse artificielle du prix des titres de dette publique, sans se soucier du fait qu’il influence négativement ou aggrave la situation économique de pays tout entiers ».

D’où, outre l’éthique des acteurs, le besoin impératif d’une régulation des marchés : il ne s’agit pas d’aller contre leur rôle naturel, mais d’assurer leur bon fonctionnement : transparence, élimination des déséquilibres injustes, équilibre des échanges. Les espaces de vide juridique et institutionnel sont propices non seulement à ‘l’aléa moral’, mais aux bulles spéculatives et aux crises. Et de citer le cas de la fraude sur le Libor, ainsi que la banque de l’ombre : échappant aux régulations, elle permet toute sorte de spéculation risquée et de prédation.

S’agissant des produits, le texte souligne l’inégalité de puissance et de compétence entre le système financier et les clients, aggravée par la complexité de certains produits. Il détaille notamment les défauts éthiques qui peuvent affecter les gestionnaires de portefeuilles. Et il conclut à l’exigence d’introduire une « homologation par les autorités publiques de tous les produits issus de l’innovation financière, afin de préserver la santé du système et de prévenir les effets collatéraux négatifs ». Ce qui vaut notamment pour les dérivés : le texte stigmatise l’immoralité des CDS nus, car ils permettent de spéculer sur la faillite d’autrui.

S’agissant de la dette publique, il souligne qu’elle est en partie due aux égarements précédents, mais qu’elle résulte aussi (et sans doute surtout) de la mauvaise gestion, et dit-il, « c’est aujourd’hui l’un des plus grands obstacles au bon fonctionnement et à la croissance des différentes économies nationales ». Il faut donc la réduire par des politiques adéquates, mais aussi dit-il par réduction directe quand ceux qui détiennent les créances peuvent supporter cette perte. Mais relevons que ce dernier point est en pratique inopérant dans le cas des énormes endettements publics des pays développés.

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Pour lire le document du Saint-Siège : Oeconomicae et pecuniariae

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