La Chine a ainsi introduit la RSE dans sa législation dès 2005, lors de la réforme du droit des sociétés. En dépit de cette législation, les initiatives en faveur de la RSE se développent surtout sous l’impulsion d’agences étatiques.
L’influence des entreprises elles-mêmes, des ONG et des syndicats reste encore marginale, alors qu’en Europe, ces trois types d’acteurs jouent un rôle crucial dans le développement de la RSE, qu’il s’agisse de l’élaboration des normes ou de leur mise en œuvre. Entre ces deux modèles, il s’agirait peut-être aujourd’hui de trouver un équilibre entre d’une part un monopole étatique empêchant le développement d’initiatives volontaires en matière de RSE, et une liberté trop grande laissée aux acteurs privés en Europe de s’autoréguler sur ce sujet ?
Entretien avec le Professeur Li Bin, Professeur de droit à l’Université Normale de Pékin, sur l’évolution de la RSE dans le contexte chinois.
Comment la RSE se manifeste-t-elle en Chine ? A travers des contraintes légales ou des actions des entreprises elles-mêmes ?
Li Bin (LB) : Ces dernières années, nous avons pu observer une évolution de l’intérêt pour la RSE en Chine. La loi sur les sociétés a d’ailleurs été révisée en 2005 pour leur imposer d’assumer leur responsabilité sociale. Cette loi reste toutefois très « molle » car aucune sanction n’est prévue à l’encontre de sociétés qui ne la respecteraient pas. Ce sont surtout les autorités publiques locales et centrales finalement qui incitent les entreprises à adopter des actions pour réaliser leur responsabilité sociale et se conformer ainsi à la loi. Ce sont donc principalement les entreprises étatiques qui sont visées par ces dispositions. Dans la réalité, les petites et moyennes entreprises ne sont que très peu visées par ce texte, dès lors que peu d’action gouvernementale les y incitent.
Peut-on constater une différence de traitement entre les entreprises privées et les entreprises publiques ?
LB : Les autorités publiques ne cherchent pas à inciter les entreprises privées à respecter la loi. En revanche, dès lors qu’elles sont cotées en bourse, elles seront dans l’obligation de publier un rapport annuel dans lequel l’entreprise devra renseigner certaines informations concernant sa performance en matière de RSE. Mais ce sont alors les commissions boursières qui exigent cette publication.
De manière générale donc, la mise en œuvre de la responsabilité sociale des entreprises privées, non étatiques, est très libérale. Certaines entreprises, non visées par les textes juridiques, ont pris par exemple l’initiative de publier leurs rapports en matière de RSE. Cette publication reste toutefois encore très promotionnelle et permet avant tout à ces entreprises de promouvoir leurs activités commerciales. La RSE s’inscrit alors davantage dans une stratégie de publicité.
La réalité de la mise en œuvre de la RSE en Chine par rapport à d’autres pays, c’est qu’il n’y a pas de véritable contrôle juridictionnel. Les consommateurs ou autres acteurs concernés par la RSE n’ont pas de voies juridiques pour contester les rapports, par exemple. Il n’y a donc pas de véritable contrôle exercé par la société civile sur les entreprises de manière générale. Cela reste très compliqué.
Est-ce que les associations se positionnent sur ce sujet aujourd’hui en Chine ?
LB : Les associations de la société civile commencent à prendre l’initiative d’évaluer les rapports publiés par les entreprises mais elles restent très marginales. Très peu d’associations s’impliquent aujourd’hui dans l’évaluation des rapports des entreprises et dans leurs critiques.
Est-ce que la loi de 2005 obligeant les entreprises à assumer leur responsabilité sociale a favorisé le développement des relations entre les associations et les entreprises sur les questions environnementales, de droit du travail ou en matière de droits de l’Homme ?
LB : Quelques associations chinoises travaillent sur ces questions mais leurs relations avec les entreprises ne sont pas très critiques. Les associations ne dénoncent pas les activités des entreprises aussi facilement qu’en Europe. Les quelques évaluations des entreprises chinoises qui existent et qui sont réalisées par des associations, restent souvent positives. Peu d’associations chinoises révèlent les pollutions de telle ou telle entreprise comme ce peut être le cas en Europe par exemple. Les plus critiques sont peut-être celles qui sont engagées dans la défense des droits des consommateurs.
Constatez-vous une influence des associations étrangères sur les associations chinoises travaillant sur les enjeux couverts par ces questions ou pas du tout ?
LB : Oui mais par des biais indirects. Il existe peu d’associations étrangères qui travaillent spécialement sur ce domaine et qui évaluent les performances sociétales des entreprises chinoises. En revanche, des associations étrangères forment des membres d’associations chinoises sur ces questions. De nombreux échanges ont lieu également entre elles. Cette montée en compétence ne suffit pourtant pas à ce que les associations chinoises deviennent influentes sur les politiques des entreprises chinoises. Et puis les autorités chinoises sont de plus en plus prudentes sur la présence des associations étrangères en Chine. Enfin, pensons aussi aux entreprises étrangères qui viennent en Chine et qui affichent des politiques responsables. Elles pourraient elles aussi former et sensibiliser les partenaires commerciaux et les employés à la RSE. La Chine est loin de voir un mouvement social se former autour de la RSE.
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