Feeds:
Articles
Commentaires

Archive for the ‘Consommateurs’ Category

Et si chacun d’entre nous était constamment noté pour toutes les actions et interactions réalisées au quotidien ? Et si, demain, ce système de notation générait une nouvelle hiérarchie sociale ?

Simple dystopie ? Pour en savoir plus sur une possible « ère de la notation », interview de Laurence Allard, sociologue des usages numériques.

La notation est au cœur d’un épisode de la série Black Mirror, sur lequel vous avez débattu à l’occasion d’un colloque. Pouvez-vous nous résumer en quelques mots le « pitch » de cet épisode ?

Laurence Allard : L’épisode dépeint une société dans laquelle les individus, leurs relations sociales et leurs comportements sont constamment évalués par les autres. La stratification sociale et socio-économique que connaissent nos sociétés se trouve déclinée ici sous une nouvelle variante qui est l’évaluation interpersonnelle.

La généralisation fictionnée de l’évaluation personnelle construit à une échelle de plus dans la hiérarchie sociale. En fonction de sa note personnelle, on a accès (ou pas) à certains types de logements, de transports, etc. Cette notation permanente entraîne un monde consensuel, aussi lisse que la surface des écrans sur lesquels les individus sont notés.

Si ce scénario est une « métaphore de la réalité », pouvons-nous dire, alors, que nous sommes dans une « ère de la notation » ?

L.A:Effectivement… De manière schématique, on pourrait dire que cette « ère de la notation » s’inscrit dans un historique de la recommandation. La première étape date d’une dizaine d’années, avec l’apparition de marketplaces comme Amazon ou Ebay. L’idée était alors d’évaluer des services et des prestations pour les recommander à d’autres consommateurs.

Il y a environ 5 ans, des applications comme Tripadvisor ou La Fourchette vont elles aussi faire apparaître des notations par le biais d’une moyenne, agrégation des notations individuelles. Mais il ne s’agit pas encore de noter des individus ou des comportements.

Il s’agit de la 3ème étape, que nous vivons actuellement, avec des applications comme Uber bien sûr, Blablacar ou Airbnb. On passe alors de la notation des biens à celles des personnes. On entre en quelque sorte dans une ère de la notation, comme Black Mirror le met en fiction notamment.

Ce type de scénario pose clairement la question de la vie privée à l’heure du tout connecté… Demain, peut-on envisager un monde de transparence totale au détriment de la vie privée ?

L.A:A partir du moment où l’on est présent sur Internet, on laisse des traces, volontaires ou non. Elles disent quelque chose de nous, de notre consommation, de nos activités, mais il ne s’agit que d’une sorte de reflet déformant et déformé.

Une personne ne se résume pas à ses activités sur le net. A titre d’exemple, le like de Facebook est très polysémique : on peut liker une page par simple curiosité, sans forcément adhérer au message qu’elle propage.

Là ou une série comme Black Mirror fonctionne très bien, c’est qu’elle donne à voir un monde qui systématise les travers et menaces de la société contemporaine, sans pour autant donner les armes pour s’en prémunir.

Cette réification des machines, des algorithmes, des robots, surestimés et mythifiés, met bien en lumière l’impuissance de nos contemporains face à ce qui est vu comme la puissance des machines.

Justement : comment intégrer, en amont de leur création, les indispensables questions morales et éthiques concernant de tels réseaux ou services ?

L.A:Plusieurs pistes sont, selon moi, envisageables. D’abord, il faut

  • continuer à veiller à découpler la dimension objective et la dimension subjective de la notation.
  • éviter la centralisation des outillages et des data aux mains de quelques-uns.
  • favoriser le chiffrement des accès et des données pour sécuriser l’encodage de ce qui est transmis via ces applications.

Enfin, il y a une véritable question d’inclusion :

il faut veiller à ne pas modeler ces hiérarchies socio-numérique sur les hiérarchies sociales existantes, faire attention à ce que ces nouveaux usages ne renforcent pas les discriminations existantes, la fracture numérique.

Retrouver l’intégralité de l’article

Read Full Post »


eric-sadinMythe de la start-up, précarisation des travailleurs, dépossession des capacités créatrices… Le philosophe Eric Sadin dénonce les ravages de la vision du monde propagée par le «technolibéralisme».

Ecrivain et philosophe critique, Eric Sadin analyse depuis dix ans l’impact du numérique sur nos sociétés.

Après la Vie algorithmique en 2015, il publie la Silicolonisation du monde – l’irrésistible expansion du libéralisme numérique. Une charge violente et argumentée contre les Google, Apple et autres Facebook, qui prennent subrepticement les commandes de nos vies pour en tirer profit comme aucune autre entreprise auparavant.

Extrait de l’interview

Dans votre nouvel ouvrage, vous dénoncez «l’esprit de la Silicon Valley» comme une entreprise de«colonisation» du monde. Pouvez-vous vous expliquer ?

La Silicon Valley incarne l’insolente réussite industrielle de notre temps. Elle a donné naissance à des géants qui dominent l’industrie du numérique – les Apple, Google, Facebook, Uber, Netflix… – et qui engrangent des chiffres d’affaires colossaux.

Toutes les régions du globe cherchent désormais à dupliquer son cœur actuel de métier : l’économie de la donnée et des plateformes. Mais depuis peu, la Silicon Valley ne renvoie plus seulement à un territoire, elle a généré un «esprit» en passe de coloniser le monde, porté par de nombreux missionnaires : industriels, universités, think tanks… Mais aussi par une classe politique qui encourage l’édification de «valleys» sur les cinq continents, sous la forme d’«écosystèmes numériques» et d’«incubateurs de start-up».

La «silicolonisation», c’est la conviction que ce modèle représente l’horizon indépassable de notre temps et qui, de surcroît, incarnerait une forme lumineuse du capitalisme. Un capitalisme d’un nouveau genre, paré de «vertus égalitaires» car offrant à tous, du «start-upper visionnaire» au «collaborateur créatif», en passant par «l’autoentrepreneur», la possibilité de s’y raccorder et de s’y épanouir.

Vous parlez d’un «technolibéralisme». En quoi est-il plus puissant que les formes de libéralisme qui l’ont précédé ?

Nous entrons dans une nouvelle étape de la numérisation du monde, celle de la dissémination tous azimuts de capteurs. A terme, toutes les surfaces sont appelées à être connectées : corps, domiciles, véhicules, environnements urbains et professionnels…

Cet «enveloppement» technologique va entraîner un témoignage intégral de nos comportements permettant au technolibéralisme de s’adosser à tous les instants de l’existence, de n’être exclu d’aucun domaine, et d’instaurer ce que je nomme une «industrie de la vie» cherchant à tirer profit du moindre de nos gestes.

Comment cela se traduit concrètement dans le monde du travail ?

Les chaînes de production dans les entreprises sont et seront de plus en plus infiltrées de capteurs qui autorisent une évaluation en temps réel des cadences permettant à des systèmes d’ordonner en retour les actes à accomplir.

La figure du contremaître disparaît au profit du résultat d’équations qui dictent le cours des choses et auxquelles il est difficile, voire impossible, de s’opposer. La capacité d’initiative et de créativité des individus est niée, réduite à exécuter des ordres émanant de programmes qui ne font l’objet d’aucune publicité et qui, la plupart du temps, sont administrés par des prestataires extérieurs.

En cela, il s’agit d’un déni de démocratie. Il est temps que les syndicats se saisissent de ces questions d’organisation impersonnelle et ultra-optimisée des conduites, qui bafouent le droit du travail autant que la dignité humaine.

Vous assimilez l’esprit start-up à de la «sauvagerie entrepreneuriale» et l’irresponsabilité des cerveaux de la Silicon Valley à de la «criminalité en sweat-shirt».Carrément ?

La start-up, c’est la nouvelle utopie économique et sociale de notre temps. N’importe qui, à partir d’une «idée», en s’entourant de codeurs et en levant des fonds, peut désormais se croire maître de sa vie, «œuvrer au bien de l’humanité», tout en rêvant de «devenir milliardaire».

Or, à y regarder de près, le mythe s’effondre aussitôt. La plupart des start-up échouent rapidement. Et pour les employés, le régime de la précarité prévaut. Une pression terrible est exercée par le fait de l’obligation rapide de résultat. Et on offre des stock-options qui, sous couvert d’intéressement à de futurs profits hypothétiques, évitent de rémunérer convenablement les personnes.

Le technolibéralisme a institué des méthodes managériales laissant croire que chacun peut librement s’y épanouir. En réalité, tout est aménagé afin de profiter au maximum de la force de travail de chacun.

Retrouver l’article intégral

libération

Read Full Post »

Older Posts »