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Quel rôle pour l’entreprise au XXIᵉ siècle ?

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À qui profite la valeur produite par les entreprise ?
Pixabay/Pexels

Hugues Poissonnier, Grenoble École de Management (GEM)

L’année 2018 s’ouvre par un débat majeur pour les entreprises, et sans doute la société tout entière. Poussé par le gouvernement, il porte sur ni plus ni moins que la finalité de l’entreprise, et précède une possible évolution de son objet social au printemps dans le cadre de la loi PACTE (Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation de l’Entreprise).

La place de l’entreprise dans la société : un débat ancien

Les articles 1832 et 1833 du code civil, qui fondent la définition de l’entreprise, pourraient être modifiés en vue de rétablir la place des parties prenantes au sens large (salariés, clients, fournisseurs, collectivité, etc.) aujourd’hui clairement ignorées par les textes. Tels que rédigés actuellement, les articles mentionnés font en effet clairement des associés (ou actionnaires) les destinataires finaux de la valeur créée par l’entreprise.

Au fond, ces articles du code civil traduisent bien la confiance placée dans le concept de « main invisible » développé quelques dizaines d’années avant leur rédaction par Adam Smith (1776). Ce dernier, postulant que la meilleure manière de contribuer à l’intérêt général consiste à se préoccuper avant tout de son intérêt particulier ou personnel, justifie la focalisation de la mission des entreprises sur la seule valeur apportée aux propriétaires ou actionnaires.

En dépit de remises en cause régulières, une telle vision demeurait relativement consensuelle et peu contestée jusqu’à la crise de 1929, qui aura notamment eu pour effet d’ébranler durablement la croyance selon laquelle le marché apporte toujours la meilleure solution aux problèmes les plus divers.

Après-guerre, un capitalisme plus accommodant

Le capitalisme qui se développe après-guerre se veut beaucoup plus conciliant et intégrateur des attentes des parties prenantes, qui ne sont pas encore nommées ainsi mais qui incluent déjà les salariés, les clients, les fournisseurs, la collectivité… Michel Aglietta (l’un des fondateurs de « l’école de la régulation » en France) qualifie ce capitalisme, qui trouve ses fondements dans la négociation collective et, partant, dans la reconnaissance de la diversité des attentes des parties prenantes, de « capitalisme contractuel ».

Au cours des années 1970-1980, la crise remet en cause le bien-fondé d’un modèle qui n’a pas su protéger de l’émergence de nouveaux déséquilibres. La (« théorie du ruissellement » qui explique que la redistribution des richesses doit s’effectuer « par le haut » (autrement dit qu’en favorisant les profits, les retombées de ces derniers bénéficieront à tout le monde, grâce aux investissements qui seront réalisés et à l’emploi qui en découlera) pose les fondements du fameux « Théorème de Schmidt ».

Le slogan du chancelier Helmut Schmidt « les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain » est devenu un théorème économique débattu.
Wikimedia Commons, CC BY-SA

L’émergence des parties prenantes

La formule de l’ancien chancelier ouest-allemand sera remise en cause par la théorie des parties prenantes développée aux États-Unis dans les années 1990 par Edward Freeman. Cette théorie postule que le bénéfice d’une entreprise ne constitue que le résultat d’un processus reposant sur la coopération des parties prenantes. Ce n’est donc pas la philanthropie, mais plutôt une logique de rationalité économique qui justifie ici l’attention portée à la satisfaction des parties prenantes, seule garante de leur engagement et du développement de leur contribution primordiale à l’entreprise.

Plus récemment, la vision que nous développons au sein de la Chaire Mindfulness, Bien-être et Paix Economique de GEM consiste à considérer que le but de l’entreprise est en réalité double : créer des richesses et contribuer au bien commun en renforçant le tissu social de manière durable et respectueuse de la dignité humaine et de la nature. L’entreprise, ainsi positionnée au cœur de la cité, se veut un acteur positif de son environnement, contribuant notamment à la paix, en cohérence avec le rôle qu’attribuait Montesquieu au « doux commerce » : réduire les incitations à la violence entre des acteurs économiques devenus dépendants et partenaires.

Changements de vision, changements de pratiques

La question des destinataires de la valeur créée par les entreprises n’est donc pas nouvelle. Elle dépasse de loin le cadre juridique puisque l’étude des pratiques des entreprises sur le siècle écoulé permet de constater une succession de modes managériales, qui se développent souvent avec un temps de retard plus ou moins important par rapport aux théories évoquées précédemment. Ces évolutions des pratiques témoignent de la capacité des différentes parties prenantes à faire entendre leur voix et valoir leurs intérêts.

De ce point de vue, l’évolution des outils de pilotage des performances est particulièrement révélatrice. Les premiers outils de contrôle de gestion qui se développent dans les années 1920 aux États-Unis sont clairement financiers (notamment le ROI ou retour sur investissement) et traduisent bien la volonté des propriétaires de contrôler les décisions des managers salariés récemment propulsés à la tête des entreprises. Dans les années 1980, la valeur est clairement créée pour les clients et s’exprime bien plus en termes de rapport qualité – prix qu’en termes de rentabilité. Les années 1990 voient le « retour de l’actionnaire » (titre d’un ouvrage de Sophie L’Hélias paru en 1997) : l’émergence d’acteurs au poids considérable remet les actionnaires en position d’imposer leurs attentes (l’indicateur principal devenant l’EVA ou valeur économique ajoutée).

Rééquilibrer les relations

Aujourd’hui, bien que les actionnaires demeurent souvent les plus audibles des parties prenantes, la pérennité semble s’imposer un peu plus chaque jour comme un objectif complémentaire face aux problématiques environnementales (réchauffement climatique, pollution, tarissement des ressources) ainsi qu’à l’accélération des cycles économiques, qui réduisent la durée de vie moyenne des entreprises. Le Balanced Scorecard ou le Prisme de Performance sont clairement des outils de pilotage qui traduisent cette ambition de concilier les attentes des parties prenantes les plus diverses.

Ce coup d’œil dans le rétroviseur permet également de constater que certaines entreprises ont su tirer leur succès et leur pérennité de leur capacité à ne jamais céder aux modes managériales décrites ci-dessus pour parvenir à préserver les intérêts de toutes leurs parties prenantes (celles qu’Antoine Frérot, PDG de Véolia, qualifie aujourd’hui de « critical friends »). Elles y ont parfois sacrifié un peu de rentabilité potentielle à une résilience accrue et à une pérennité avérée.

Les difficultés de l’élargissement de l’objet social des entreprises

L’objet social élargi de l’entreprise était l’une des propositions du manifeste pour une économie positive dirigé par Jacques Attali en 2012. Elle reposait sur la reconnaissance de la pertinence de la théorie des parties prenantes. Une telle vision incite en effet fortement à élargir la définition de l’objet social de l’entreprise à des fins de pure pertinence économique. Bien que la pertinence du regard porté aux impacts de l’entreprise sur la société et l’environnement soit largement admise, y compris par le Medef, ce dernier, par l’intermédiaire de son Président Pierre Gataz, se montre hostile à toute modification du code civil qui ouvrirait la possibilité à de nombreux recours juridiques difficilement gérables par les entreprises. La campagne actuellement menée par les organisations patronales (Medef, Afep et Ansa) en défaveur des retouches évoquées en particulier sur l’article 1833 du code civil devrait fortement peser sur la décision qui sera prise dans quelques semaines, et qui commence d’ores et déjà à se dessiner.

La voie du milieu, choix probable

Une solution moins contraignante et portée par les organisations patronales consisterait à créer une nouvelle forme d’entreprise, « l’entreprise à mission » ou « à bénéfice public », s’inspirant des « public benefit corporations » américaines. Il s’agirait d’inclure dans les statuts de l’entreprise une mission sociale, scientifique ou environnementale qui viendrait compléter la recherche du profit. Les entreprises qui le souhaitent pourraient ainsi mieux prendre en compte l’intérêt général, ce dernier apparaissant clairement et sans ambiguïté comme l’une de leurs missions. Bien sûr certaines, par philanthropie ou par calcul, ne se privent pas de le faire dès à présent, mais le fait de l’écrire les rendrait plus légitimes et moins attaquables au moment de faire face aux reproches de certains actionnaires.

Il faut à ce sujet souligner à quel point il est caricatural de considérer que résultat et rentabilité constituent les seules attentes des actionnaires. Parmi ces derniers, nombreux sont ceux qui intègrent des critères de responsabilité et d’impact positif sur la société pour discriminer les entreprises qui recevront leurs investissements. Un récent sondage du BCG, réalisé auprès de 250 grands investisseurs, permet de constater que 88 % d’entre eux jugent que les dirigeants se focalisent trop sur le court-terme…

The ConversationSi les débats restent ouverts, et risquent même de s’intensifier dans les semaines qui viennent, il y a de fortes chances qu’entre immobilisme et ambition controversée la voie du milieu ne finisse par s’imposer. D’autant plus qu’elle a aujourd’hui le vent en poupe grâce aux soutiens d’acteurs reconnus et engagés, notamment Antoine Frérot, PDG de Véolia, ou Emmanuel Faber, PDG de Danone. Dans ce cas, les résultats obtenus en termes de changement des comportements délétères seraient bien plus faibles que ceux initialement envisagés par les syndicats et le gouvernement. Le débat sur le rôle de l’entreprise dans la société n’en serait toutefois que légèrement reporté, et se verrait sans doute considérablement renforcé.

Hugues Poissonnier, Professeur d’économie et de management, Directeur de la Recherche de l’IRIMA, Membre de la Chaire Mindfulness, Bien-Etre au travail et Paix Economique, Grenoble École de Management (GEM)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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Les dangers (relatifs) de la culture de l’impact

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Le logo présenté, le 18 janvier, à Paris pour l’appel à projets lancé par le ministère de la Transition écologique et solidaire.

Rodolphe Gouin, Sciences Po Bordeaux

Mesure de l’impact, culture du résultat, pragmatisme, volonté de changer le monde en profondeur, RSE (responsabilité sociétale de l’entreprise), instauration du contrat à impact social en France, etc. : on chante partout et sous de multiples formes une nouvelle culture de l’impact à adopter.

Le lancement récent du #FrenchImpact en est le dernier témoignage. Elle a saisi depuis quelques années le secteur de la générosité, comme celui plus vaste de l’intérêt général. Les bienfaits sont profonds. Les risques, hélas, peuvent l’être tout autant.

L’avènement de la culture de l’impact

Pour commencer, une comparaison avec le domaine de l’action publique est éclairante. Dans la mise en œuvre des politiques publiques, le tournant dit libéral (voire néo-libéral) de l’État et l’avènement du nouveau management public datent, en France, du début des années 1980.

Ils ont consisté à introduire progressivement dans l’action publique et ses outils des concepts et des instruments issus en bonne part du management des entreprises privées. Le phénomène a été largement étudié.

Pour en donner un exemple, l’un des changements les plus profonds qu’a connus en France l’action publique depuis un demi-siècle est le passage de financements récurrents – de type subventions de fonctionnement attribuées à des opérateurs historiques des politiques publiques (administrations, établissements publics) – à la mise en concurrence d’acteurs publics et privés par le biais d’appels à projets. L’évaluation systématique des moyens mis en œuvre et de l’atteinte des objectifs initialement fixés complète le dispositif.

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Or le secteur de la générosité suit la même trajectoire. S’il fallait la nommer, on pourrait parler de l’avènement – progressif mais rapide – d’une culture (ou un paradigme) de l’impact. En d’autres mots, il s’agit d’un ensemble cohérent de concepts, de théories explicatives, de valeurs, de principes d’actions et d’instruments de gestion. Elle triomphe dans la sacro-sainte « mesure de l’impact », Graal difficilement atteignable mais horizon constant.

Les acteurs de l’intérêt général qui vivent et agissent, pour tout ou partie, grâce au soutien de donateurs sont de plus en plus soumis à la fois à l’exigence de fixer des objectifs en terme d’impact (en quoi ont-ils changé le monde grâce à mon don ? demande le donateur) et non en termes de moyens mis en œuvre, et à celle du reporting sur les résultats obtenus. Le tout est orchestré par la méthode de l’appel à projets, mode opératoire des fondations redistributrices, qui fixe les cadres conceptuels et les bonnes pratiques de cette nouvelle idéologie.

Comment expliquer cette transformation profonde ?

Plusieurs phénomènes se conjuguent. Tout d’abord, de nombreuses associations et fondations vivent en partie de soutiens de l’État, des collectivités ou de leurs opérateurs parapublics (voir les études 2014 du Rameau et 2017 de KPMG), et ont connu de ce fait le « tournant libéral » de l’action publique évoqué plus haut.

Elles ont intégré petit à petit ces exigences nouvelles. Or dans la compétition pour capter l’attention, l’intérêt, la confiance et in fine les ressources financières des donateurs, endosser une culture de l’impact s’avère gagnant. En anticipant des exigences de donateurs qui n’étaient peut-être pas encore présentes, les organismes sans but lucratif (OSBL) ont contribué à leur diffusion.

Plaquette de présentation des « contrats à impact social ».
Ministère de de l’Économie, des Finances, de l’Action et des Comptes publics.

Deuxièmement, la multiplication des organisations appelant à la générosité publique ou au soutien de mécènes est en constante augmentation (voir à ce sujet le site du Centre français des Fonds et Fondations sur l’évolution du nombre d’organisations, dont beaucoup collectent). Cela oblige les donateurs à sélectionner de manière plus drastique les causes ou les organisations à soutenir. La culture du résultat et de la mesure de l’impact fournissent aux donateurs sur-sollicités des cadres de pensée ou une méthode pratique et à la mode pour sortir de leur dilemme.

On peut voir, enfin, dans l’injonction à la mise en place de politiques de RSE (responsabilité sociétale de l’entreprise) une autre voie de propagation du paradigme de l’impact, qui affecte par définition les parties prenantes des entreprises qui s’adressent à elles.

Les vertus de l’impact

Que penser de cette évolution ? Évaluer son effet positif en terme de « professionnalisation » du secteur des OSBL revient à souscrire sans le dire à la culture de l’impact, et à apprécier la mise en conformité des pratiques avec les canons qu’elle prescrit. Se « professionnalise » celui qui se donne des objectifs, agit pour les atteindre, mesure ses résultats et communique sur l’impact de son action.

En tant qu’observateur et praticien, j’y souscris assez nettement. Replacer les discussions et négociations entre financeurs et collecteurs/opérateurs au niveau des impacts est une méthode féconde pour trouver un terrain d’entente et un moyen d’éviter que ne perdurent des situations de rente ou de monopoles improductifs au regard des besoins et des causes à défendre.

Dans une culture généralisée de l’impact, adopter le vocabulaire et les pratiques propres à ce paradigme permet aussi de fournir aux représentants des financeurs (privés et publics) des arguments et des justifications valorisés par leurs décideurs. Les performances de collecte s’en trouvent améliorées.

Enfin, on ne peut négliger que cette idéologie comporte un volet technique, des instruments, qui comblent un vide méthodologique fréquent dans les OSBL (notamment en gestion, levée de fonds et communication), et permet de sortir les professionnels du non-profit de méthodes artisanales parfois incompréhensibles pour les donateurs.

Toutefois, souscrire globalement à cette culture n’exclut pas qu’on lui trouve aussi, pour le secteur de la générosité au moins, des inconvénients.

Risque n°1 : financer le fonctionnement

Le premier est une antienne du monde du non-profit : si les donateurs ne financent plus que les actions qui ont un impact direct, mesurable, qui financera la structure qui porte ces actions, ses fonctions supports, ses coûts de fonctionnement ? Les OSBL qui sont financés de plus en plus via des appels à projets connaissent ce danger : on multiplie les succès, on obtient des financements, mais on n’a rien, ou trop peu, pour faire vivre les fonctions supports. Du coup, ces derniers sont sous tension et n’apportent plus le soutien attendu par les équipes qui, elles, font le travail dont on mesurera l’impact. Rapidement, le modèle économique n’est plus tenable.

De nombreuses fondations redistributrices (cf. l’étude de Mécénova) s’alignent – consciemment ou non – sur ces standards qui imposent des maxima de prélèvements pour frais de gestion (généralement moins de 10 %). Pour un OSBL non subventionné, sa pérennité est vite menacée.

À titre d’exemple, sur mes huit dernières années passées à diriger des fondations dans le secteur de la recherche, les prélèvements de 8 % n’ont jamais permis de faire vivre une structure (salaires chargés et coût de fonctionnement), quelle que soit sa dimension. La question n’est pas celle de la taille (même si des effets de paliers peuvent être espérés).

Il faut trouver des mécènes qui acceptent de financer la structure elle-même. Cela est rarissime et peut finir par prendre plus de temps que de mener les actions à impact fort. Sans subvention, sans intérêts d’un capital, sans apport en nature, il aurait fallu au minimum 20 % de frais de gestion pour équilibrer les comptes de ces fondations.

Solution 1 : déconnecter impact et efficience du don

Le financement des fonctions supports est-il incompatible avec l’idéologie de l’impact ? Non, si on adopte une perspective qualitative de l’impact et non un ratio d’efficience entre financement apporté et résultats obtenus.

On a confondu impact du financement apporté (chaque euro donné) avec l’impact pour le bénéficiaire final. C’est une vision purement comptable de l’aide apportée, équivalant à un retour sur investissement social étroit. L’idée d’impact n’a pas imprégné les outils de l’idéologie qui la serve : par peur que le financement apporté n’ait pas d’impact, on exige qu’il soit utilisé en quasi-totalité pour le projet dont on mesurera les effets. Or le lien entre les deux n’est pas systématique.

Maximiser l’impact de mon don en maximisant son utilisation pour le « projet » soutenu est une erreur de calcul. On fait comme si tout projet financé n’était qu’un coût marginal supplémentaire pour une organisation qui en ferait varier le nombre comme elle le souhaiterait. En fond de cette méprise, il y a à la fois un manque de confiance dans les structures qu’on soutient (mauvais usage des fonds) et une méconnaissance des modèles économiques des acteurs soutenus.

Risque n°2 : ne plus soutenir les causes les plus difficiles

Le second risque concerne le financement des causes pour lesquelles l’impact est le plus difficile à obtenir, le plus difficile à assurer ou le plus long à générer. De ce point de vue, la lutte contre la grande pauvreté, la recherche médicale ou les programmes de prévention-éducation forment un triptyque peu compatible avec l’idéologie de l’impact.

Les restos du cœur, à Angers, octobre 2015.
Wikimedia, CC BY-SA

Sortir de manière définitive une personne de la grande pauvreté est complexe et difficile étant donné l’imbrication de nombreuses dimensions de la vie d’une personne : ses ressources matérielles, sa santé physique, sa santé morale, ses réseaux de sociabilité, son accès à l’information, etc. Les objectifs d’impact pourraient paraître dérisoires en regard des soutiens apportés et des besoins observés.

Comment mesurer l’impact à court terme de la recherche médicale ?
Pixabay

La recherche médicale consiste, quant à elle, à tenter de nouvelles voies thérapeutiques, à expérimenter de nouveaux traitements sans aucune assurance que les essais seront concluants. On ne peut prendre aucun engagement sur les résultats, alors comment en prendre sur l’impact ?

Enfin, soutenir des programmes d’éducation dans une finalité qui est, elle, de plus long terme (par exemple, la lutte contre les discriminations), ne permet pas, par définition de fixer des objectifs d’impact à court ou moyen termes.

Bien entendu, les OSBL qui interviennent dans ces trois domaines doivent tout de même, pour rester crédibles dans ce nouveau contexte idéologique, afficher des objectifs d’impact. Mais on ne peut y voir beaucoup plus qu’un enjeu de communication qui s’impose à elles.

Solution 2 : mieux articuler impact et valeurs

À première vue, on pourrait estimer qu’une culture de l’impact entre en opposition avec une vision centrée avant tout sur les valeurs. La première consisterait à ne soutenir des organisations ou des actions qu’au regard des résultats qu’elles sont censées obtenir ; la seconde consisterait à soutenir des organisations ou des actions par respect d’une valeur : c’est bien ou juste ou généreux ou pieu ou civique de soutenir cette OSBL ou cette cause.

La plupart du temps, nous agissons en suivant les deux logiques, la question n’est donc pas de les opposer mais de savoir laquelle est prioritaire pour décider ou justifier une action (un don) ou légitimer une organisation. Ce qui semble dangereux, dès lors, c’est que les apports positifs de la recherche de l’impact relèguent systématiquement au second plan l’engagement en termes de valeurs.

La logique que devraient suivre les financeurs et donateurs afin pour que les causes les plus difficiles ne soient pas délaissées consisterait donc à choisir d’abord la cause ou l’OSBL en fonction de valeurs puis, si le soutien à apporter est compatible, exiger l’engagement sur des résultats en termes d’un impact.

The ConversationEn tant que culture, l’impact n’est pas qu’une idée, mais un ensemble de concepts, de théories explicatives et d’outils pour penser et agir. Veillons à ce que la vertu de l’idée d’impact qui focalise l’attention sur les finalités ne s’implante pas au cœur des instruments qui la desservent.

Rodolphe Gouin, enseignant en psychologie politique, Sciences Po Bordeaux

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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