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Posts Tagged ‘Gouvernance’

Interview paru dans les Echos le 30/11/2021 ICI

Clarisse Magnin-Mallez est directrice générale de McKinsey France. Elle rappelle que, pour être au cœur de la stratégie, la responsabilité sociétale et environnementale doit être incarnée par le dirigeant, tout en infusant au sein de toutes les parties prenantes.

Quels sont, selon vous, les impacts de la Cop26 sur les entreprises ?

Avant même la Cop26, les entreprises avaient pris conscience de la nécessité de s’engager en faveur de la transition environnementale. Le pourquoi y aller était déjà établi, avec des motivations allant de la continuité et la conformité de leurs activités, jusqu’à la position concurrentielle, en passant par l’attractivité auprès des talents ou encore les aspirations sociétales constatées chez les collaborateurs d’aujourd’hui et de demain, les clients, etc.

En revanche, nombre d’organisations s’interrogent encore sur le comment et sur la façon d’accélérer. L’heure est donc au « less talk, more action » [moins de discours, plus d’action, NDLR] car, aux yeux de tous, l’entreprise du XXIe siècle a vocation à aller au-delà de sa propre rentabilité.

Comment cette accélération est-elle possible ?

En faisant prendre conscience aux entreprises qu’il est question de valeur économique. A l’heure actuelle, plus de 70 % de la valeur économique est créée par les entreprises qui génèrent simultanément des externalités négatives. Néanmoins, nombre de ces acteurs réalisent qu’ils sont aussi des vecteurs majeurs de solutions, même si peu savent précisément établir le bilan économique de leur développement durable.

Quand nous interrogeons les entreprises sur la valeur induite par leur stratégie RSE , un quart répond qu’elle est réelle, près d’un quart évoque une source de coûts supplémentaires et 35% estiment qu’elle n’engendre ni surcoût, ni valeur additionnelle. Plus surprenant encore, près d’un quart ne sait pas si celle-ci génère de la valeur ou pas. Les entreprises manquent encore d’outils de mesure pour évaluer finement les effets économiques et environnementaux de leurs plans d’actions.

Dans ce contexte, quel est le rôle du dirigeant ?

Le dirigeant doit incarner le changement. C’est à lui d’établir la vision qui, même si elle n’est pas parfaite, doit être relativement stable pour servir de cap dans la durée. Et son rôle est à la fois défensif et offensif.

Défensif, car il doit prévenir toute remise en cause de l’entreprise par ses diverses parties prenantes. Auprès de ses clients, il doit préserver ses parts de marché en assurant la désirabilité de ses produits et services. Face aux investisseurs, il doit parer l’effet « coup de poing » d’une augmentation du coût du capital sur ses actifs bruns.

Offensif, car l’on attend du dirigeant une réflexion stratégique. Il lui faut déterminer les opportunités à la fois d’investissement sur des activités vertes nouvelles, de substitution ou de transformation des actifs polluants par des alternatives propres, et enfin de limitation des externalités négatives pour les activités ne pouvant être dépolluées mais offrant une indéniable plus-value sociétale. En parallèle, il doit décarboner ses opérations en réduisant les gaspillages et en réfléchissant au rapprochement de certains pans de sa chaîne de valeur (near-shoring).

En avançant progressivement, ou partiellement, l’entreprise ne risque-t-elle pas d’être taxée de « green washing » ?

Effectivement, de nombreux dirigeants font part de leur inquiétude quand il s’agit de communiquer, craignant que leurs efforts soient jugés insuffisants ou que cela les expose. A l’inverse, un dirigeant activiste peut lui aussi effrayer les marchés. Du fait de la multiplicité des parties prenantes, la communication doit s’articuler autour d’un discours ambitieux et de preuves d’avancées tangibles.

Une petite minorité d’entreprises indexent ainsi 30 % du bonus des membres du comité exécutif à des résultats en matière de décarbonation. Une fois de plus, la vision RSE ne doit pas se dissocier de celle de la création de valeur, sinon il sera notamment difficile de lever des fonds. Autant dire que, pour le dirigeant, la transition environnementale est toujours un chemin de crête et parfois un chemin de croix.

Le dirigeant a-t-il néanmoins des soutiens au niveau de la gouvernance ?

Les pratiques sont hétérogènes d’une entreprise à l’autre. Certaines ont créé une direction RSE. D’autres font porter la stratégie de développement durable par les opérations, au niveau des achats par exemple. Ailleurs, ce sont les directions financières, via leurs outils de Reporting et de financement. Quel que soit le modèle, il fonctionne si le sujet est proche du PDG. C’est la condition pour que la transition environnementale infuse tous les maillons de l’organisation.

La question doit également être positionnée au cœur du pilotage de la transformation de l’entreprise, en prenant en compte l’impact généré hors du seul périmètre de l’entreprise, c’est-à-dire au niveau des partenaires et fournisseurs. C’est là que se situent les émissions que l’on a coutume d’appeler le scope 3 [ les émissions de gaz à effet de serre induites par l’approvisionnement, le transport… NDLR ], correspondant, pour beaucoup d’entreprises, à plus de 80% de leur empreinte carbone.

Quelle est la part de la finance durable ?

Je suis optimiste sur l’intégration, dans les financements, des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). On peut s’attendre à une fusion prochaine des standards de finance internationale en ce sens. Certes, des freins subsistent, en particulier sur la question d’une approche « auditable » des pratiques ESG. Reste que nous observons une forte augmentation des actifs ESG, qui devrait s’accélérer sous l’impulsion d’un coût du carbone plus élevé et d’une matérialité plus forte du risque climatique.

Qu’en est-il des enjeux en matière de ressources humaines ?

Si les conditions d’une transition fluide sur 30 ans sont réunies, atteindre la neutralité carbone en Europe pourrait certes détruire 6 millions d’emplois, mais en créer simultanément 11 millions. La France en serait parmi les bénéficiaires. Le défi est toutefois d’ampleur : jusqu’à 18 millions d’européens devraient être requalifiés . C’est à l’échelle des grands bassins d’emplois et des entreprises qu’il faudra modéliser les besoins de compétences critiques, mettre en œuvre les parcours de formation adaptés et accompagner la mobilité sectorielle ou les réorientations vers les nouveaux métiers générés par la transition. Voilà un autre sujet, central, de direction générale.

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On vit dans une société de plus en plus judiciarisée et encadrée par des règles de droit, la présomption d’innocence a-t-elle un sens ?

Première femme élue bâtonnier du barreau de Paris, Dominique de La Garanderie, co-fondatrice et associée du cabinet éponyme, est également présidente du comité d’éthique du groupe Le Monde. Elle siège, par ailleurs, au comité d’éthique du Medef depuis 2000. Elle passe aujourd’hui le train des réformes au prisme de la praticienne.

Dominique de La Garanderie : Nous avons de nombreux textes, l’arsenal protecteur est en place. À tous les niveaux, la présomption d’innocence est protégée, y compris avec sanction si quelqu’un y porte atteinte. La loi existe donc, quand elle n’est pas respectée, des sanctions sont prises, à divers titres. Celui qui, cloué au pilori, est finalement relaxé ou même n’est pas inculpé, n’a le plus souvent nulle envie d’attaquer ses diffamateurs, médias ou autres, pour ne pas voir l’affaire remise sur le devant de la scène.

A.-P. : Les fake news peuvent aussi faire des ravages…

D. de La G. : Peut-on réellement en mesurer les effets ? Cette question des fake news est très intéressante, car elle pose aussi la question des réseaux sociaux amplificateurs et déformateurs. Chacun d’eux rassemble souvent un groupe homogène qui partage les mêmes idées et parfois la même idéologie. S’il n’y a pas le relais de l’écho médiatique, la fake news peut rester confinée dans ce cercle restreint.

On peut d’ailleurs se demander si les news, réelles ou pas, ont aujourd’hui la moindre crédibilité… La réponse est “non”.

Un sondage montre que, seuls, 13 % des Français font “un peu” confiance aux informations qui circulent sur les réseaux sociaux. Pour tous les autres, elles n’ont aucune crédibilité.

C’est tout de même essentiel de le savoir, néanmoins le buzz a des mécanismes imprévus. Si Facebook est contraint, comme c’est souhaitable, de faire connaître ses commanditaires, quand ils existent, il deviendra une source considérable d’informations déchiffrables pour le public et plus encore pour les commentateurs.

Toute transparence sur ce réseau ruinera définitivement “l’information” quand elle est sponsorisée. Dans le code de déontologie de l’AFP, les journalistes qui s’inscrivent sur les réseaux pour recueillir des informations doivent le faire à titre personnel et pas en leur qualité de journaliste. Ils disposent de sources sans pour autant adhérer aux discours, préservant totalement leur indépendance. C’est une bonne garantie. Les journalistes ont une formidable carte à jouer sur le plan de la rigueur, de l’éthique et de la déontologie. La crise de confiance existe, y compris vis-à-vis de la presse, les sondages le confirment périodiquement, mais cette confiance peut être recouvrée en adoptant des règles qui donnent des garanties. Les journalistes sont sur les réseaux sociaux pour avoir une source d’information qu’ils vérifient, qui ne les oblige pas, et qui leur permet d’exercer pleinement le métier. C’est une déontologie. Voilà des messages à diffuser…

A.-P. : Dans le train de réformes du Gouvernement, visant à moderniser le pays, on parle notamment beaucoup de l’objet social des entreprises. Qu’en pensez-vous ?

D. de La G. : Dans un premier temps, j’ai été assez terrifiée qu’on envisage une modification du code civil s’agissant de l’entreprise.

Pour moi, il est assez clair que le code de commerce peut répondre à toutes les préoccupations concernant le droit des sociétés. Je suis assez convaincue par l’argumentaire développé autour du code civil mentionnant tous les dangers de la modification.

Ensuite, je me suis posée beaucoup de questions sur la dénomination de la mission “Entreprise et intérêt général” de Nicole Notat et Jean-Dominique Sénard. En effet, considérer que l’entreprise a la charge de « l’intérêt général » me semble assez inquiétant.

L’intérêt général est, à mes yeux, du ressort de l’Etat, des institutions et de nos élus. Faire évoluer le capitalisme est une chose, mais transférer la charge de l’intérêt général aux entreprises ne me semble pas correspondre à nos institutions.

À cet égard, le rapport cherche à être apaisant lorsqu’il vise “l’intérêt propre” de l’entreprise qui va prendre en compte ses préoccupations en matières sociale et environnementale en fonction de son activité. Nous sommes là sur des termes choisis, mais non pas des concepts juridiquement définis. Nous, juristes, savons comment la jurisprudence a défini “l’intérêt social” et ce sont des juridictions commerciales. Il est donc, indépendamment de cette querelle droit civil vs droit commercial, plus rassurant d’entendre désormais le ministre se référer à “l’intérêt social”.

J’ai une autre observation. Les grandes entreprises savent depuis longtemps ce qu’est leur responsabilité sociale et environnementale et la pratiquent quotidiennement, que ce soit en conformité avec la règle ou au titre du droit souple ou même, au-delà, de leur propre initiative.

Certes, certaines peuvent avoir une vue à court terme pour donner aux investisseurs des résultats les plus immédiats possibles, ce qui les éloigne des préoccupations à long terme révélées par la pleine connaissance qu’elles ont de leurs possibilités et de leur avenir.

Dans ces possibilités existe évidemment l’intégration du social et de l’environnemental, mais aussi de l’intérêt de ce qu’on peut appeler “les parties prenantes”. Ces dernières, avec au premier rang les salariés, mais aussi les banquiers, les gestionnaires de fonds… participent de très près ou de plus loin à la vie de l’entreprise et donc à divers titres et degrés à la création de valeur.

Les intérêts particuliers de toutes ces parties doivent aboutir à l’intérêt collectif, celui de l’entreprise. On demande au chef d’entreprise de tenir compte de ces parties prenantes. C’est donc une démarche que les entreprises connaissent parce qu’elles l’ont organisé pour les plus grandes et parce qu’elles le vivent au quotidien pour les plus petites.

A.-P. : Cette RSE ferait donc ainsi beaucoup de bruit pour rien ?

D. de La G. : Il faut que toutes les entreprises aient pleine conscience de cet équilibre nécessaire. Les entreprises ont deux piliers, le financier et, concernant leur vie, le social et l’environnemental.

C’est ce qui s’organise avec un apport légal qui cherche à prendre le relai de la “soft law” déjà largement adoptée. Avec la RSE, nous allons vers une philosophie qui est la “raison d’être” de l’entreprise. On demande à ces entreprises, organisées autour d’un conseil d’administration, conseil de surveillance et directoire, de réfléchir au sein de leurs instances à leur “raison d’être”. Elles doivent prendre en compte la RSE en déterminant leur raison d’être à long terme et en l’intégrant dans la stratégie.

 

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