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Article de Pénélope Lepeudry paru dans OPINION le 29/10/2021 ICI

Comment les entreprises peuvent naviguer la trajectoire actuelle et anticiper les changements à venir concernant la nécessité grandissante de plus de transparence.

Avec les « Pandora Papers », nous pouvons à nouveau saluer l’impressionnant travail d’analyse d’un grand groupe de journalistes et leurs efforts pour montrer au grand public les mécanismes et structures utilisés par certaines entreprises, célébrités, politiques ou riches individus pour dissimuler leurs biens ou pour « optimiser leur facture fiscale ».

Il n’en reste pas moins que malgré les Panama Papers, les LuxLeaks, les Paradise Papers, les SwissLeaks, les Luanda Leaks et les offshore Leaks et maintenant les Pandora Papers, les mêmes problématiques, les mêmes « scandales » sont toujours soulevés.

Certes, grâce à ces « fuites », certaines affaires ou montages ont été suivi d’investigations et de procédures judiciaires avec parfois de lourdes conséquences pour les personnes concernées. Mais en parallèle, il en ressort également une impression de « So what ? ».

Ces révélations permettent-elles véritablement des changements en profondeur ?

Si nous devions nous fier à ce que certaines entreprises disent ou ne disent pas, nous en viendrions à penser qu’elles ne sont pas concernées par ces « leaks » pour le moment. Par ailleurs, une brève analyse des arguments les plus avancés dans la presse à la suite des Pandora Papers permet de se faire une idée des motifs justificatifs mis en avant pour défendre le recours à ces structures : « les données datent » ; « ce sont des temps révolus » ; « nous restons dans le cadre de la loi » ; « ces structures offshores permettent de protéger la sphère privée » ; et bien d’autres.

Pourquoi les entreprises doivent-elles prendre les Pandora Papers et leurs révélations au sérieux ?

Selon moi, toutes les entreprises (et pas uniquement les entreprises nommées dans ces « leaks ») doivent prendre le sujet au sérieux. Toute entreprise est potentiellement amenée à avoir dans ses relations d’affaires, une partie prenante qui utilise des structures offshores : il est important d’avoir une bonne compréhension de son exposition à ces structures et à évaluer le risque correspondant.

En effet, deux tendances pouvant porter atteinte aux entreprises dans ce domaine sont à observer : i) les cadres légaux sont en évolution constante, et il y a de fortes chances que ces pratiques deviennent de plus en plus encadrées et ii) bien que certaines de ces pratiques soient légales, elles n’en demeurent pas moins éthiquement discutables et sont de moins en moins acceptées dans la société. Revenons plus en détails sur ces deux points.

Premièrement du point de vue réglementaire, les changements sont en cours : on notera en particulier un grand pas en avant avec la signature en octobre d’un traité par lequel 130 pays s’engagent à un taux d’imposition minimum de 15% pour les entreprises avec un chiffre d’affaires supérieur à EUR 750 millions (environ CHF 800 millions). L’accord couvre aussi les géants de la technologie (tels qu’Amazon, Facebook etc.) qui devront être imposés dans les pays dans lesquels leurs biens et services sont vendus. Ce traité devrait donc rendre moins pertinente l’utilisation de structures offshore pour optimiser la fiscalité des grosses entreprises.

On peut également noter l’adoption de nouvelles lois par un nombre croissant de pays afin d’améliorer la transparence sur la propriété effective des entreprises, et la mise en place de registres (publics ou non publics). Le sujet est mené depuis quelques années par de nombreux organismes et groupements comme le G20, la coalition anti-corruption du B20, l’OCDE et le Groupe d’action Financière (GAFI) – pour en nommer quelques-uns.

Deuxièmement, le respect des principes éthiques et de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) est de plus en plus important pour les entreprises. Je pense qu’il est difficile de concilier pratiques d’optimisation fiscale ou d’avoirs dissimulés avec une démarche RSE. Par ailleurs, l’exercice de devoir justifier de ces relations d’affaires ou de ces montages « offshore » deviendra un exercice de plus en plus chronophage et complexe.

Les révélations médiatiques d’ampleur telles que les récents Pandora Papers s’inscrivent dans le cadre d’une mouvance sociétale, mais les risques se doivent d’être analysés au niveau des entreprises, car les conséquences sur la réputation sont réelles. Les entreprises qui ont mis en place une démarche RSE, se doivent aussi de considérer leur exposition aux sujets soulevés par les Pandora Papers (et autres « leaks ») et s’assurer qu’elles n’ont pas de relations d’affaires en contradiction avec les valeurs porteuses de l’entreprise.

« So what » ?

La tolérance à l’égard de l’évasion fiscale et de la planification fiscale agressive continuera de diminuer. Les Pandora Papers et d’autres enquêtes futures concerneront probablement toujours autant les particuliers fortunés plutôt que des multinationales. Toutefois, l’attention pourrait se porter de plus en plus sur les systèmes et entités habilitants.

Si nous ne pouvons pas vraiment prédire les répercussions à long terme de ces fuites, il est certain que les entreprises devront se mettre à niveau pour faire face aux conséquences sur les régulations et leur réputation. Dans ces circonstances, il sera de plus en plus nécessaire d’avoir recours à des experts pour naviguer ces évolutions.

Les « leaks » ont également mis en avant le rôle des banques. Cependant, celles-ci effectuent des contrôles de type ex-post , c’est-à-dire une fois que les structures sont déjà en place (et qu’elles deviennent clientes d’une banque par exemple). Seules les banques d’affaires dans un contexte M&A ou de structuration, interviennent plus en amont.

Une chose est sûre : les cabinets d’avocats, fiduciaires et autres intermédiaires ont l’avantage d’être placés plus en amont et devraient occuper une place centrale dans l’écosystème de transparence vers lequel il faudra tendre de plus en plus.

Interview paru dans les Echos le 30/11/2021 ICI

Clarisse Magnin-Mallez est directrice générale de McKinsey France. Elle rappelle que, pour être au cœur de la stratégie, la responsabilité sociétale et environnementale doit être incarnée par le dirigeant, tout en infusant au sein de toutes les parties prenantes.

Quels sont, selon vous, les impacts de la Cop26 sur les entreprises ?

Avant même la Cop26, les entreprises avaient pris conscience de la nécessité de s’engager en faveur de la transition environnementale. Le pourquoi y aller était déjà établi, avec des motivations allant de la continuité et la conformité de leurs activités, jusqu’à la position concurrentielle, en passant par l’attractivité auprès des talents ou encore les aspirations sociétales constatées chez les collaborateurs d’aujourd’hui et de demain, les clients, etc.

En revanche, nombre d’organisations s’interrogent encore sur le comment et sur la façon d’accélérer. L’heure est donc au « less talk, more action » [moins de discours, plus d’action, NDLR] car, aux yeux de tous, l’entreprise du XXIe siècle a vocation à aller au-delà de sa propre rentabilité.

Comment cette accélération est-elle possible ?

En faisant prendre conscience aux entreprises qu’il est question de valeur économique. A l’heure actuelle, plus de 70 % de la valeur économique est créée par les entreprises qui génèrent simultanément des externalités négatives. Néanmoins, nombre de ces acteurs réalisent qu’ils sont aussi des vecteurs majeurs de solutions, même si peu savent précisément établir le bilan économique de leur développement durable.

Quand nous interrogeons les entreprises sur la valeur induite par leur stratégie RSE , un quart répond qu’elle est réelle, près d’un quart évoque une source de coûts supplémentaires et 35% estiment qu’elle n’engendre ni surcoût, ni valeur additionnelle. Plus surprenant encore, près d’un quart ne sait pas si celle-ci génère de la valeur ou pas. Les entreprises manquent encore d’outils de mesure pour évaluer finement les effets économiques et environnementaux de leurs plans d’actions.

Dans ce contexte, quel est le rôle du dirigeant ?

Le dirigeant doit incarner le changement. C’est à lui d’établir la vision qui, même si elle n’est pas parfaite, doit être relativement stable pour servir de cap dans la durée. Et son rôle est à la fois défensif et offensif.

Défensif, car il doit prévenir toute remise en cause de l’entreprise par ses diverses parties prenantes. Auprès de ses clients, il doit préserver ses parts de marché en assurant la désirabilité de ses produits et services. Face aux investisseurs, il doit parer l’effet « coup de poing » d’une augmentation du coût du capital sur ses actifs bruns.

Offensif, car l’on attend du dirigeant une réflexion stratégique. Il lui faut déterminer les opportunités à la fois d’investissement sur des activités vertes nouvelles, de substitution ou de transformation des actifs polluants par des alternatives propres, et enfin de limitation des externalités négatives pour les activités ne pouvant être dépolluées mais offrant une indéniable plus-value sociétale. En parallèle, il doit décarboner ses opérations en réduisant les gaspillages et en réfléchissant au rapprochement de certains pans de sa chaîne de valeur (near-shoring).

En avançant progressivement, ou partiellement, l’entreprise ne risque-t-elle pas d’être taxée de « green washing » ?

Effectivement, de nombreux dirigeants font part de leur inquiétude quand il s’agit de communiquer, craignant que leurs efforts soient jugés insuffisants ou que cela les expose. A l’inverse, un dirigeant activiste peut lui aussi effrayer les marchés. Du fait de la multiplicité des parties prenantes, la communication doit s’articuler autour d’un discours ambitieux et de preuves d’avancées tangibles.

Une petite minorité d’entreprises indexent ainsi 30 % du bonus des membres du comité exécutif à des résultats en matière de décarbonation. Une fois de plus, la vision RSE ne doit pas se dissocier de celle de la création de valeur, sinon il sera notamment difficile de lever des fonds. Autant dire que, pour le dirigeant, la transition environnementale est toujours un chemin de crête et parfois un chemin de croix.

Le dirigeant a-t-il néanmoins des soutiens au niveau de la gouvernance ?

Les pratiques sont hétérogènes d’une entreprise à l’autre. Certaines ont créé une direction RSE. D’autres font porter la stratégie de développement durable par les opérations, au niveau des achats par exemple. Ailleurs, ce sont les directions financières, via leurs outils de Reporting et de financement. Quel que soit le modèle, il fonctionne si le sujet est proche du PDG. C’est la condition pour que la transition environnementale infuse tous les maillons de l’organisation.

La question doit également être positionnée au cœur du pilotage de la transformation de l’entreprise, en prenant en compte l’impact généré hors du seul périmètre de l’entreprise, c’est-à-dire au niveau des partenaires et fournisseurs. C’est là que se situent les émissions que l’on a coutume d’appeler le scope 3 [ les émissions de gaz à effet de serre induites par l’approvisionnement, le transport… NDLR ], correspondant, pour beaucoup d’entreprises, à plus de 80% de leur empreinte carbone.

Quelle est la part de la finance durable ?

Je suis optimiste sur l’intégration, dans les financements, des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). On peut s’attendre à une fusion prochaine des standards de finance internationale en ce sens. Certes, des freins subsistent, en particulier sur la question d’une approche « auditable » des pratiques ESG. Reste que nous observons une forte augmentation des actifs ESG, qui devrait s’accélérer sous l’impulsion d’un coût du carbone plus élevé et d’une matérialité plus forte du risque climatique.

Qu’en est-il des enjeux en matière de ressources humaines ?

Si les conditions d’une transition fluide sur 30 ans sont réunies, atteindre la neutralité carbone en Europe pourrait certes détruire 6 millions d’emplois, mais en créer simultanément 11 millions. La France en serait parmi les bénéficiaires. Le défi est toutefois d’ampleur : jusqu’à 18 millions d’européens devraient être requalifiés . C’est à l’échelle des grands bassins d’emplois et des entreprises qu’il faudra modéliser les besoins de compétences critiques, mettre en œuvre les parcours de formation adaptés et accompagner la mobilité sectorielle ou les réorientations vers les nouveaux métiers générés par la transition. Voilà un autre sujet, central, de direction générale.