« En Belgique, mon sentiment est qu’il fallait sauver Fortis… » c’est ce que nous dit Philippe de Woot, professeur émérite à l’UCL et l’une des personnalités en Belgique qui connaît le mieux la responsabilité sociétale des entreprises (RSE).
Il s’est livré à une interview où il nous livre sa vision pour la Belgique et les perspectives pour un secteur financier où l’expression de la RSE est souvent mise à mal.
(morceaux choisis)
Que pensez-vous de l’évolution de ce concept de RSE dans notre pays ?
Les choses évoluent dans le bon sens. Au départ, c’était un peu du « greenwashing ». Aujourd’hui, le mouvement est plus profond, cela dépasse le cadre des bonnes pratiques et cette responsabilité sociétale influence toute la culture de l’entreprise, soit ses choix stratégiques et entrepreneuriaux, son mode de leadership et de management et enfin ses responsabilités sociétales. Il y a un certain nombre d’entreprises belges qui sont entrées dans cette logique-là.
Où se situe la Belgique par rapport à d’autres pays européens ?
Il existe des entreprises à l’avant-garde. Mais je serais beaucoup plus réticent à l’égard du monde financier vis-à-vis de la RSE. Le monde financier reste dominé par la pensée de Milton Friedman : le rôle de l’entreprise est de rémunérer les actionnaires avec une pression sur le court terme, dictée par la Bourse. Après la crise épouvantable que le monde financier a déchaînée,….on ne peut pas s’empêcher de penser qu’elles sont restées dans la vieille pensée.
La finance doit être au service de l’entreprise et non au service de la spéculation. Il faut en revenir à la finalité même de l’entreprise qui est de créer, par son innovation, le progrès économique. Entre le concept de progrès, qui a une dimension éthique et politique, et le concept de profit, il y a un abîme intellectuel et philosophique.
Pensez-vous que le monde financier peut se réformer de l’intérieur ?
Le monde financier est en retard sur l’évolution du monde et l’époque. Le système d’économie concurrentielle de marché a donné à l’acteur économique un pouvoir considérable sur les ressources du développement. Un des éléments-clés de ce pouvoir est la maîtrise des sciences et des technologies. Au niveau mondial, ce système fonctionne sans régulation politique et sans profondeur éthique, ce qui entraîne de graves dérives pour la planète et des inégalités sociales grandissantes. Les acteurs industriels commencent à comprendre leurs responsabilités à l’égard de ces enjeux mais les acteurs financiers restent enfermés dans une logique de maximisation du profit. Et cela n’a pas l’air de changer.
Comment réformer alors ce secteur financier ?
J’ai des doutes sur la capacité du système financier à évoluer par lui-même tant que des hauts responsables de banques continuent à adopter une position cynique comme celle du patron de Goldman Sachs qui s’est comparé à Dieu après avoir menti, volé et triché. Là, je suis inquiet.
Aujourd’hui, la nouvelle génération de banquiers est mue par le désir de faire rapidement le maximum de bénéfices possibles. Et cela a entraîné toutes les activités spéculatives qui ont permis à certaines banques de spéculer avec l’argent de leurs clients, entraînant tous les désastres que nous avons vécus, résultat de la cupidité de certains banquiers. Changer cette culture-là à court terme me semble difficile.
Le fait que l’on a beaucoup parlé d’inégalités à Davos, est-ce un premier pas dans la bonne direction ?
C’est un signal intéressant. Le fait que Christine Lagarde ait attiré l’attention des dirigeants de la planète sur la gravité de ces inégalités est un fait important. Ce n’est donc pas un épiphénomène même si ces grands rassemblements de décideurs ne produisent des effets concrets qu’à long terme…
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