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Archive for the ‘Témoignages’ Category

Corinne Fernandez Handelsman a participé à la création d’un comité RSE au sein d’un grand groupe mondial. Elle témoigne ici de cette expérience. Associée chez Progress, cabinet en ressources humaines, elle est aussi administratrice indépendante depuis plusieurs années, notamment chez Ubisoft.

Corinne Fernandez Handelsman témoigne de son expérience de création d’un comité RSE au sein d’un grand groupe mondial. (DR) l’article original ICI

Je vous propose de partager mon expérience d’administratrice indépendante ayant participé à la création, en 2018, d’un comité RSE (responsabilité sociétale de l’entreprise) pour un groupe mondial diffusant des produits et services grand public. Ce groupe, coté sur le marché Euronext Paris, est exposé à la diversité culturelle, économique, politique et sociétale.

Parmi ses actionnaires, divers et internationaux, on compte les fondateurs, les salariés, des actionnaires individuels, quelques institutionnels, des fonds de pensions et des industriels. Leur diversité et leur exigence s’expriment directement ou se font représenter dans les assemblées générales et les réunions d’actionnaires. En outre, nous devons assurer une parfaite cohérence entre la communication auprès des clients et celle vis-à-vis des actionnaires, cohérence encore plus sensible dans un business B2C.

Le comité RSE, un « must have »

Pour rester exemplaire en matière de gouvernance, le conseil d’administration a décidé de créer un comité RSE. J’ai participé à cette création avec, pour compétence initiale, la gestion des talents.

Ma première réaction a été un mélange de plaisir et de perplexité face à l’ampleur du sujet car la RSE couvre tous les domaines de l’entreprise. Par où et comment l’appréhender ? C’était comme se trouver face à une montagne sans voir le chemin pour la gravir, ou face aux falaises d’Antigua avant d’apercevoir la passe secrète de la rade de Nelson.

Heureusement, l’entreprise avait « incubé » une équipe compétente en matière de RSE. Avec l’aide de consultants spécialisés, elle avait défini le périmètre d’action, analysé la réglementation et l’état de l’art en Europe et en Amérique du Nord, élaboré un état des lieux dans le groupe. Ce travail avait abouti à l’élaboration d’une stratégie sous la direction d’un président-directeur général profondément convaincu de l’intérêt de la démarche car elle est en cohérence avec la culture du groupe. La création d’un comité RSE a permis, dans un premier temps, de donner plus de visibilité à cette équipe dont les travaux ont été présentés au conseil d’administration.

En parallèle, la conjoncture a été favorable puisque l’industrie entière a été impactée par des problématiques de RSE. D’une année sur l’autre, dans les réunions d’actionnaires, le comité RSE qui était un « nice to have » est devenu un « must have ». Le groupe s’est retrouvé en avance sur la concurrence qui n’avait généralement pas de tel comité.

Rester humble sur ce sujet sensible

Un critère RSE a été introduit dans la rémunération variable du dirigeant aux côtés de critères liés à l’EBITDA ou au cours de l’action. Ce critère a eu pour conséquence de mettre en place des indicateurs clés de performance ( KPIs ) associés pour pouvoir suivre le degré d’atteinte des objectifs.

Cela a eu un impact sur la façon de produire, de mesurer la satisfaction des clients ou des salariés à court et moyen terme. Des enquêtes existaient, elles ont été suivies avec plus de rigueur pour être communiquées en transparence aux marchés.

Dans les grands pays où le groupe est présent, en production ou en commercialisation, les institutionnels, certains membres des gouvernements nous ont rendu visite pour contrôler la cohérence du discours avec les faits, voire pour servir d’exemple à l’industrie.

Il faut néanmoins rester humble car sur un sujet aussi sensible, les efforts de plusieurs années peuvent être détruits en un jour par un événement malheureux qui peut se produire n’importe où sur la planète. Ainsi, sans donner de leçons, j’aimerais vous livrer cinq réflexions de nature hétérogène.

  • 1. Structurer la démarche. Nous avons structuré le champ d’action et la stratégie autour de quatre thèmes : les clients ; les salariés ; les communautés (où le groupe est implanté, les associations…) ; la planète, notamment l’environnement… Je conseille cette segmentation car elle englobe tous les domaines, elle est robuste et résiste (so far !) aussi bien au temps qu’aux aléas.
  • 2. Le comité doit être divers et ouvert. Le comité RSE doit avoir des « palpeurs » sur le monde, car il faut écouter les signaux faibles. Pour maximiser les chances de les entendre, il doit être composé de membres divers en termes de géographies, de cultures, de métiers… Or comme le nombre de ses membres reste restreint (trois à quatre personnes), le comité a besoin de s’appuyer sur des enquêtes menées auprès de toutes les parties prenantes. Avoir un ou plusieurs administrateurs salariés dans le comité apporte une réelle richesse à la fois sur le point de vue des salariés mais aussi sur le business.
  • 3. Fixer des objectifs ambitieux et réalistes. Le comité RSE doit fixer des objectifs mesurables, réalistes, acceptables par l’entreprise. Il doit se tenir informé des évolutions de la société, au niveau mondial, et anticiper les risques , les évolutions de l’opinion publique, faire un effort de pédagogie s’il détecte des sujets potentiellement importants ou critiques. Si l’entreprise est consciente du risque, il n’y aura pas de problème. Si elle ne l’est pas, il faut prendre le temps de faire mûrir le sujet si on en a le temps. La façon de dire les choses compte. Sa répétition aussi, la référence à des études externes est nécessaire.
  • 4. La RSE touche aux valeurs. Il faut veiller à une cohérence réelle et profonde entre les valeurs affichées par l’entreprise et celles qu’elle pratique dans ses rapports avec ses salariés, ses clients, son environnement. La RSE touche aux valeurs non seulement de l’entreprise mais de toutes ses parties prenantes. Bien sûr ces valeurs sont relatives aux cultures, aux pays, mais un tronc commun le plus simple et le plus large possible doit être partagé, incarné.
  • 5. Travailler en synergie. Le comité RSE doit travailler en synergie avec le comité des nominations et des rémunérations sur les sujets concernant les salariés ; avec le comité de l’audit et des risques pour la gestion commune de la dimension « risques ». Ce travail transverse avant les conseils d’administration est riche et indispensable. Il faut l’organiser sachant que le planning des comités et des conseils est dense et très contraint. Ensuite, le comité RSE présente ses préconisations en conseil d’administration, en les ayant testées auprès des autres comités concernés. Cela permet d’en préparer l’argumentaire et la pédagogie.

J’espère vous avoir donné quelques pistes pour bien faire fonctionner un tel comité, l’essentiel étant de le créer dès que possible s’il n’existe pas car, si vous ne le faites pas, c’est l’agenda aléatoire des événements qui vous sera imposé et vous serez moins prêt à répondre aux interpellations de vos actionnaires. J’espère également vous avoir convaincus de son contenu riche, varié, passionnant et de son caractère stratégique.

Ce texte est issu de l’ouvrage collectif « 100+ témoignages sur la gouvernance d’entreprise. Plus de cent diplômés HEC de tous horizons partagent leur expérience des conseils d’administration », aux éditions Les Ozalids d’Humensis, 356 pages, 23 euros.

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Daniel Cohen, professeur de sciences économiques à l’ENS et auteur de l’ouvrage « Il faut dire que les temps ont changé », a revisité l’histoire économique des pays occidentaux depuis leur entrée en phase de désindustrialisation afin d’expliquer la détérioration du lien social dans les sociétés actuelles, née selon l’économiste de l’effondrement de la civilisation industrielle et de sa transformation en une « civilisation algorithmée déshumanisante ».

Le propos de Daniel Cohen se fonde sur les points communs paradoxaux des craintes et des critiques faites à l’encontre de la digitalisation de la société avec celles que soulevaient son industrialisation.

En effet, si la société industrielle d’après-guerre évoque aujourd’hui encore une époque faste – que ne saurait mieux qualifier la célèbre expression de « Trente Glorieuses » de Jean Fourastié – en son temps, celle-ci inquiétait à l’époque autant que la société dite « digitale » d’aujourd’hui.

La critique, portée notamment par Roland Barthes dans ses Mythologies ou encore Herbert Marcuse avec L’Homme unidimensionnel, n’est déjà pas tant économique que sociale et culturelle. Elle s’oppose à un fonctionnement aliénant causé par l’industrie où l’homme s’oublierait à force de répétitions ; elle déplore également la perte de création en raison de l’ « abêtissement cultivé par une télévision poussant à  la consommation.  ».

Loin d’être rassurante selon Daniel Cohen, cette assimilation des critiques faites à deux époques éloignées révèle l’inquiétante situation dans laquelle se trouvent les sociétés post-industrielles dont les appréhensions n’ont eu de cesse de se renforcer.

La désindustrialisation a conduit à une perte du lien social.

L’organisation de la société industrielle favorisait auparavant  une forme d’unité entre tous les segments de la société (« une société liant, de manière rigide mais solidaire, les dirigeants d’entreprise et les ouvriers à la chaîne, en passant par les ingénieurs et les contremaîtres ») a progressivement été disloqué à force d’externalisation, créant une dissociation des différentes couches sociales.

Par ailleurs, Daniel Cohen remarque que la montée des inégalités s’observe dans tous les pays, riches ou pauvres, avancés ou émergents.

Outre le phénomène de désindustrialisation, le lien social au sein des sociétés occidentales est également mis à mal par des caractéristiques inhérentes à l’ère digitale.

A l’aliénation de l’industrie s’est substituée la déshumanisation du numérique. Daniel Cohen explique cette dernière en citant Jean Fourastié qui, dans Le grand espoir du XXème siècle, décompose l’Histoire humaine en trois phases : une première consistant à cultiver la terre, une seconde depuis la fin du XVIIIème siècle reposant sur le travail de la matière et la phase actuelle, celle de la société de services, où l’homme est devenu matière première.

Or, Daniel Cohen explique que cette dernière phase est par essence incapable de créer de la croissance. Selon lui, la valeur du bien qui est produit se mesurant au temps consacré à autrui, le processus de production que la civilisation industrielle avait su massifier grâce aux machines en dégageant plus de gains de productivité bute aujourd’hui sur la finitude de ce temps incompressible « qu’il faut par exemple au coiffeur pour réaliser une coupe de cheveux ».

Les nouvelles technologies ont permis de répondre au blocage de la croissance à un point stationnaire et ce en changeant la nature humaine : l’homme n’est désormais plus assimilé à un être fait de chair mais un être numérisé, un système de données pouvant être traités à distance.

Ainsi, Daniel Cohen attire l’attention sur le fait que le passage du travail « à la chaîne » au travail « en ligne » ne s’est pas fait sans un nouveau processus de déshumanisation.

A l’instar de l’ère industrielle, la société digitale se pose la question de sa sortie du monde du travail et du capitalisme en raison de la place croissante des nouvelles technologies dans nos modes de production. DanielCohen imagine deux scénarios :

  • Un scénario, inspiré du film Her de Spike Jonze, où un nombre croissant de tâches serait réalisé par des algorithmes et où le travail se ferait de plus en plus rare au sein des classes moyennes – les services dispensés par des hommes devenant des privilèges. Un scénario jugé « insoutenable d’un point de vue démocratique et humaniste ».
  • Un second scénario où les technologies parviendraient à trouver des complémentarités avec le travail humain afin d’accroître sa productivité. Selon Daniel Cohen, c’est le scénario qui a primé jusque là et qui devrait par conséquent s’installer. Néanmoins, il signale que la difficulté réside aujourd’hui dans le fait qu’ aujourd’hui les innovations ne soient pas réalisées au sein des entreprises mais hors les murs (à la Silicon Valley, par exemple) par des entreprises dont le modèle économique aurait tout intérêt à suivre le premier scénario.

Daniel Cohen a conclu son propos sur l’épreuve que représente le passage des sociétés occidentales d’une société industrielle à une société digitale, cette fois pour les pays émergents – et principalement les moins industrialisés. Ces pays doivent effectivement désormais faire face à une concurrence des nouvelles technologies. Par ailleurs, ces pays se confrontent au risque du « leapfrog » (ou « saut de grenouille » qui désigne l’idée de parvenir à un objectif sans passer par les étapes intermédiaires grâce aux nouvelles technologies). Revenant à l’idée selon laquelle, sans les nouvelles technologies, la société digitale n’est pas créatrice de richesses – la croissance se faisant par l’industrie – Daniel Cohen explique que ces pays pourront difficilement faire l’impasse de l’industrialisation de leur société.

Retrouver l’article original ICI

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