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Archive for the ‘Environnement’ Category

Article de Celia IZOARD – REPORTERRE du 16/11/2021 – ICI

Déchets dans les eaux, dégâts en Europe, pollution… Dans un rapport impressionnant qui paraît ce mardi, l’association SystExt démontre que les « mines durables » sont un mensonge et que les techniques minières sont « de plus en plus prédatrices et dangereuses ». Aurore Stephant, ingénieure géologue minier, l’explique à Reporterre.

Reporterre — Dans le rapport « Controverses minières », quelles « contre-vérités » sur les mines révélez-vous ?

Aurore Stephant — Lors du dernier congrès de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), qui a réuni des États et des agences gouvernementales du monde entier, nos équipes ont constaté une chose étonnante : certains représentants des gouvernements croyaient qu’aucun site minier ne rejetait aujourd’hui ses déchets directement dans les fleuves ou la mer.

Ils pensaient cette pratique révolue ou interdite.

Pour eux, les résidus miniers sont systématiquement stockés dans des barrages, des digues — qui posent elles-mêmes de gros problèmes, mais passons.

Or, non seulement cette pratique aux conséquences dramatiques existe bel et bien, mais elle est répandue et tout à fait légale ! Des dizaines d’opérateurs jugent plus simple de bazarder chaque année en pleine nature des millions de tonnes de boues acides et/ou fortement concentrées en métaux toxiques. 

Sur le site de Grasberg, en Indonésie (première mine d’or et troisième mine de cuivre au monde, en volumes produits), l’entreprise Freeport déverse chaque année 87,6 millions de tonnes de résidus chargés en plomb et en arsenic dans le fleuve Ajkwa.

Nous nous attaquons à d’autres idées reçues : la croyance que les impacts de l’industrie minière seraient bien plus importants dans les pays en voie de développement que dans les pays développés.

On pense que si les mines polluent et sacrifient des vies humaines, c’est parce qu’elles se situent dans des pays où la réglementation est peu exigeante. C’est faux.

D’une part, l’exploitation minière demeure le secteur d’emploi le plus dangereux si l’on tient compte du nombre de personnes exposées au risque, y compris aux États-Unis et en Europe.

D’autre part, les méthodes d’extraction et de traitement sont les mêmes partout. Que l’on soit aux États-Unis, au Pérou ou en République démocratique du Congo (RDC), pour extraire 10 kg de cuivre, il faudra broyer et réduire en poudre 1 tonne de roche, puis la traiter aux xanthates (hydrocarbures).

En quelques années, vous aurez obtenu un lac de résidus toxiques qui resteront dangereux entre 5 000 à 10 000 ans et qu’il faudra confiner tant bien que mal. Vous aurez nécessairement des fonderies, qui dégageront du dioxyde de soufre, et donc amplifieront les pluies acides et la pollution de l’air.

Pourquoi vous a-t-il paru urgent « d’en finir avec certaines contre-vérités sur les mines et les filières minérales » ?

Nous constatons avec nos équipes que le niveau général de connaissance sur le fonctionnement réel des mines et des industries métallurgiques est très faible, à la fois dans le grand public, mais aussi chez les responsables politiques et institutionnels. C’est déjà très préoccupant, étant donné que toutes les marchandises qui nous entourent contiennent des métaux, depuis les pigments présents sur les emballages, le dioxyde de titane dans les dentifrices, jusqu’à la soixantaine de métaux différents dans un smartphone.

C’est d’autant plus grave que l’accélération de la numérisation, l’industrialisation des pays du Sud et la transition énergétique telle qu’elle est promue aujourd’hui (par exemple les véhicules électriques) risquent d’induire une multiplication par au moins trois de la production de métaux dans le monde ces prochaines décennies.

Cela signifie produire dans les seules trente-cinq prochaines années plus de métaux qu’il n’en a été extrait dans toute l’histoire de l’humanité. Impensable !

Sur cette industrie qui risque d’être l’un des enjeux majeurs — et des problèmes majeurs — du XXIe siècle, tout se passe comme si nous étions directement passés de la non-information à la désinformation.

Jusqu’à la fin des années 2000, les mines n’existaient quasiment pas dans l’espace public. Maintenant que l’on commence à s’y intéresser, les filières minérales sont recouvertes de discours-écrans qui en masquent le fonctionnement et les impacts réels.

Une foule d’éléments de langage à connotation positive sont apparus dans les rapports pour justifier l’accroissement de ce secteur : « mine durable »« meilleures pratiques »« techniques révolutionnaires », etc. Nous voulions faire comprendre ce qu’elles recouvrent.

Par exemple, quand on passe en revue les « techniques révolutionnaires » vantées par les opérateurs, on constate que les pratiques récentes sont encore plus destructrices et moins maîtrisées que les précédentes.

Ainsi, le « foudroyage par blocs », qui consiste à dynamiter massivement le sous-sol, provoque des séismes et des effondrements incontrôlables.

La « lixiviation en tas », elle, vise à se débarrasser tout bonnement de l’usine de traitement du site minier en traitant chimiquement la roche en plein air, à grande échelle. On déverse directement des millions de litres d’agent extractif sur la montagne de roches broyées dont on veut extraire les minéraux.

Cela revient à asperger une colline de 200 mètres de haut de cyanure ou d’acide sulfurique.

Ces « techniques révolutionnaires » servent à exploiter des gisements à très faible teneur avec des coûts très bas.

Pourquoi faites-vous très peu de recommandations dans ce rapport pour améliorer cet état des lieux ?

Il nous aurait fallu des milliers de pages pour formuler des propositions précises : le champ est immense, les filières minérales sont diverses et chacune se caractérise par des dizaines d’étapes de production, du forage au raffinage des métaux.

Nous nous limitons à deux recommandations urgentes. L’une est, évidemment, l’interdiction du déversement volontaire de déchets miniers dans les milieux aquatiques. L’autre est l’interdiction de toute exploration ou exploitation minière des grands fonds marins.

Le 12 octobre dernier, Emmanuel Macron s’est prononcé en faveur de leur exploration, qualifiée de « levier extraordinaire de compréhension du vivant, peut-être d’accès à certains métaux rares ».

Des centaines de rapports scientifiques montrent déjà qu’il est impossible de mener ne serait-ce que de l’exploration à 2 ou 3 kilomètres de profondeur sans causer de dommages graves et irréversibles : intoxication des planctons et des espèces marines par la mise en solution des métaux présents, perturbation lumineuse et sonore, etc.

Ici, la « compréhension du vivant » est incompatible avec l’activité minière : nous détruirions ces milieux avant même de les connaître.

C’est pourquoi nous argumentons en faveur d’une interdiction pure et simple, et non pour un moratoire qui laisserait cette possibilité ouverte. Nous avons de bonnes raisons de craindre que l’explosion de la demande en métaux dans les années à venir ne laisse pas indemnes les ultimes barrières morales que nos sociétés tentent de se fixer.

Enfin, au-delà de l’amélioration des pratiques, il faut bien voir qu’en l’état, l’industrie minérale ne peut qu’augmenter ses impacts : en exploitant des gisements dont la concentration minérale est de plus en plus faible, nous utilisons de plus en plus d’énergie et générons des volumes de déchets toxiques de plus en plus ingérables, quelles que soient les techniques utilisées.

La seule issue ne peut être que de limiter les volumes extraits.

Des politiques de recyclage ambitieuses pourraient-elles réduire ces problèmes ?

Oui, c’est incontournable. Les métaux recyclés seraient largement compétitifs par rapport aux métaux issus de l’extraction si les opérateurs miniers payaient le coût social et environnemental de leur activité, qui est exorbitant.

Mais le recyclage est quasiment impossible quand les métaux sont utilisés de manière dispersive, comme dans l’électronique.

Et il ne suffirait pas à satisfaire la demande, qui est exponentielle. Il faut donc changer notre rapport aux matières premières minérales, et cela doit passer par une transformation radicale du mode de vie des pays dits « développés ».

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Article de Baptiste DETOMBE sur LVSL du 30/09/2021

Des forêts aux cheptels bovins, le vivant tend à être de plus en plus uniformisé, afin de maximiser la rentabilité à court terme. Or, en détruisant une biodiversité autrefois très riche, l’être humain menace la sécurité de son alimentation. Un premier pas vers la sortie de ce productivisme écocidaire serait de rompre avec la logique libre-échangiste aujourd’hui hégémonique.

Plus les années passent, et plus la marchandisation de notre environnement prend de l’ampleur.

Du marché de l’amour, désormais organisé par des applications, en passant par celui des droits à polluer, de la génomique et de la procréation, rien ne semble pouvoir y échapper. 

Comme l’expliquait l’économiste Karl Polanyi, la recherche de profits pousse à l’extension perpétuelle des sphères du capitalisme, au point d’entraîner la création de « marchandises fictives », c’est-à-dire la transformation en marchandises d’objets non adaptés au marché tels que les monnaies, la Terre, et le travail.

Ce que Polanyi n’avait pu imaginer, c’est la standardisation sans bornes du vivant dans la recherche d’une compétitivité effrénée : les arbres sont sélectionnés pour leur vitesse de croissance, les animaux pour leur capacité d’engraissement, les hommes bientôt pour leur productivité…

La biodiversité, elle, prise dans ce mouvement d’uniformisation, s’appauvrit au point de menacer ses propres capacités de résilience et de balafrer à jamais le patrimoine français, voire mondial.

DES FORÊTS EN RANG D’OIGNONS

Si l’augmentation spectaculaire de l’espace forestier en France en seulement un siècle est remarquable – et due à l’effondrement du monde paysan -, un tel développement cache cependant une réalité moins glorieuse : l’industrialisation d’une partie de nos forêts.

Dans les pays aux climats tempérés comme la France, le cheval de Troie de ce phénomène n’est autre que le pin Douglas, un résineux nord-américain dont la monoculture ne cesse de se répandre dans le Massif central, en particulier dans le Morvan. Et pour cause, il pousse deux fois plus vite que ses congénères, est plus résistant aux maladies, et son bois est plus droit et solide. Rapidement, il a donc été sacré grand chouchou de la sylviculture et de l’industrie du meuble. Il est alors planté en masse sur des hectares entiers avant que ne se produisent des coupes rases (abattage de l’ensemble des arbres sur une parcelle) qui empêchent le retour à la terre des troncs, et donc la régénération de celle-ci.

L’arbre pompe alors les minéraux du sol sans le réenrichir en se décomposant pour former l’humus. Ce processus d’extraction menace les nombreux insectes et oiseaux vivant grâce à ce bois mort et acidifie les sols.

À cela s’ajoute l’usage d’intrants pour dévitaliser les souches et effectuer de nouvelles plantations. Il n’est ainsi plus si rare de se promener dans des forêts où la distance entre les arbres est millimétrée, une seule essence visible, et la biodiversité inexistante.

Un phénomène inquiétant plus répandu qu’on ne le pense : 14% des forêts françaises sont des plantations, 30 000 ha de forêt ont été plantés ou replantés chaque année au cours des dix dernières années, et les feuillus, moins rentables, disparaissent (80% des arbres plantés sont des résineux).

Un écocide qui vient fournir en matière première le géant chinois qui, loin de la candeur occidentale, protège ses forêts.

DES BOVINS TOUS JUMEAUX

Cette uniformisation se retrouve aussi dans l’élevage bovin, bien que la communication autour de celui-ci laisse à penser le contraire : 46 races de vaches sont recensées sur le cheptel national, de quoi laisser imaginer une grande diversité.

Pourtant, deux races concernent à elles seules plus de 50% des vaches : la Prim’Holstein et la Charolaise. Cette standardisation des troupeaux, relativement récente dans l’histoire de France, a été provoquée par l’action conjuguée d’importations de races d’Angleterre et d’Hollande, de croisements multiples et de politiques publiques, notamment introduites par l’ingénieur général agricole Edmond Quittet après 1945.

Le but était de faire disparaître les races de vaches les moins productives, alors jugées inutiles (la garonnaise, la blonde des Pyrénées, la rouge flamande, etc.), sacralisant la victoire de l’utilitarisme benthamien, lui-même étroitement lié au libéralisme, moteur du capitalisme.

Ainsi, la Prim’Holstein a représenté un raz-de-marée pour le cheptel bovin français complètement transformé. Le « une vache, une région » du début du XXème siècle n’a plus cours.

Un changement regrettable – au-delà de la simple estocade qu’a subi le leg patrimonial – dans la mesure où ces races anciennes présentaient une rusticité et une grande adaptation aux territoires. Et nous ne sommes pas au bout de nos peines.

Déjà le clonage des bovins devient chose courante aux États-Unis et en Chine. À force de prendre la nature pour une marchandise, d’ignorer ses limites perdu dans un techno-utopisme, l’homme risque de se perdre lui-même.

L’UNIFORMISATION, UN RISQUE MAJEUR POUR LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE

Quand l’on sait que 90% des espèces cultivées ont disparu depuis le début du XXème siècle, que 75% de nos apports alimentaires dépendent de seulement 12 espèces végétales et de 5 espèces animales, la question des conséquences de la standardisation du vivant devient incontournable.

Plus qu’un appauvrissement génétique, c’est une menace grave qui plane sur l’alimentation mondiale. La diversité des écosystèmes permet en effet de les rendre plus résistants et résilients face aux maladies et ravageurs.

Un vivant plus standardisé, c’est avant tout moins de prédateurs potentiels contre les nuisibles, à l’image des chauves-souris qui dévorent les “vers de la vigne”, ennemis des vignerons.

Plus les espèces disparaissent dans cette “grande standardisation”, et moins nous disposons de moyens de procéder à des hybridations qui seraient pourtant très utiles face à de nombreux défis (espèces invasives, changement climatique).

L’existence de variétés de céréales éthiopiennes plus résistantes à la chaleur est ainsi une piste intéressante dans le sens d’une adaptation au réchauffement planétaire.

En règle générale, les monocultures standardisées permettent aux nuisibles de se propager à une vitesse folle. Le cas du Morvan est encore ici emblématique : les épicéas plantés en monoculture subissent une particulièrement forte mortalité du fait de la scolyte, un insecte qui pond ses œufs dans l’écorce des arbres.

Ainsi, en 2020, les bois dépérissants représentent 26% de la récolte en forêt publique.

La banane Cavendish, qui représente plus de 99% des bananes importées dans le monde, subit le même scénario à cause d’un champignon en mesure de proliférer du fait d’une biodiversité enterrée sous une monoculture généralisée.

Les élevages industriels, malgré des procédures de biosécurité renforcées, constituent eux aussi des foyers épidémiques en puissance, un problème que la résistance de nouvelles bactéries aux antibiotiques risque d’aggraver dans les prochaines décennies. L’appauvrissement génétique en cours, irréversible, pourrait bien à terme broyer les capacités de résilience de l’humanité.

SORTIR DES LOGIQUES PRODUCTIVISTES

Cette uniformisation tant de la biodiversité française que de nos élevages ne peut être combattue qu’en terrassant les causes de ce phénomène : la recherche de rendement et la course à la compétitivité.

Il est ainsi crucial de remettre à plat la PAC (Politique Agricole Commune), dont les subventions sont indexées sur le nombre d’hectares pour les agriculteurs et le nombre de têtes pour les éleveurs.

Mais la fin du dumping social et environnemental passera aussi par la sortie des traités de libre-échange qui enserrent la France dans une concurrence mondiale intenable.

Le double discours des élites politiques, nationales comme européennes, promettant de protéger notre agriculture et l’environnement tout en signant des accords avec le Canada, le Mexique, le Vietnam ou le MERCOSUR, doit être dénoncé.

Il en est d’ailleurs de même avec le marché unique européen. Derrière les mots « libre échange », qui relèvent plus de la novlangue que d’une réalité conceptuelle, il faut bien comprendre « asservissement du politique à des dynamiques économiques ».

La seule chose libérée grâce à ces traités se trouve être l’accès, pour des multinationales, à de nouveaux marchés, autant pour s’approvisionner en matières premières, que pour écouler la marchandise. Pire encore, la croissance démographique et la montée des niveaux de vie dans les pays émergents vont sans aucun doute faire monter les prix des matières premières : bois de construction, viande, blé… et il sera donc de plus en plus ardu de résister aux sirènes de la marchandisation à tout va.

Ainsi, les animaux comme les végétaux, mais aussi, de manière indirecte, les êtres humains, subissent ce mouvement d’uniformisation généralisé.

Résister n’est pas seulement une question de survie matérielle et environnementale, mais un impératif moral et anthropologique.

Face au mouvement d’uniformisation marchand imposé par la mondialisation, nous devons préserver et valoriser l’aspérité, le discontinu, le protéiforme…

Ce sont les conditions même de l’existence qui sont en jeu : l’homme ne se réalise que s’il peut se distinguer de l’altérité. Il est grand temps de donner tort à la si véridique assertion de Jacques Ellul « Cette société s’est trouvée caractérisée à nos yeux par ses fatalités et son gigantisme ».

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