Trois questions à Martine Léonard, Présidente de la Commission Développement Durable et Analyse Financière à la SFAF et Responsable ISR au sein de CMC-CIC Asset Management.
La forte évolution de l’info RSE a t-elle fait évoluer les pratiques de l’analyste extra-financier ?
Martine Léonard : Oui et non car je dirais que l’information extra-financière est encore embryonnaire par rapport à l’information financière. Sur les grandes valeurs, rares sont les données qui couvrent 100% de leur périmètre. Les indicateurs sont rarement comparables d’une année à l’autre. Ce qui nous conduit à revoir chaque année le processus de collecte des informations. Néanmoins, l’information qualitative et quantitative s’enrichit et nous pouvons aujourd’hui faire de réelles estimations. Et puis la communication extra-financière est moins lisse que la communication financière, elle est moins « bordée » par les directions juridiques ce qui favorise le travail de l’analyse. De nombreux émetteurs rodent encore leurs messages.
Les leviers de progrès sont donc nombreux ?
Oh oui ! Beaucoup d’entreprises sont correctes. Peu sont excellentes ! Elles nous livrent des indicateurs mais ne nous donnent pas toujours les clés pour les décoder. L’information extra-financière n’est pas suffisamment mise en perspective. Prenons l’exemple des émissions de gaz à effet de serre : dois-je comparer ces données à l’EBITA, au chiffre d’affaires, à la valeur ajoutée de l’émetteur ? Certes, je peux faire ces estimations moi-même, mais je n’ai pas toujours la bonne métrique. Si je poursuis avec les ressources humaines, les entreprises font rarement le lien entre le climat social et les accidents du travail ou le taux de turn-over. Soit parce qu’elles ne souhaitent pas communiquer sur ces aspects, soit parce qu’elles se censurent, mais ce sont de toute façon des questions que nous leur poserons dans un entretien.
Quelles sont les données qui vous permettent de valider que la RSE est intégrée à la stratégie de l’entreprise ?
Encore une fois, il faut mettre le nez dans les chiffres ! J’évalue l’impact financier des choix extra-financiers pris par l’entreprise. Quand un groupe évoque la notion de produits/services à forte valeur ajoutée, j’essaie de « financiariser » cette valeur ajoutée. Derrière les produits ou services, il y a des hommes, des compétences. Je vais regarder le budget alloué à la formation ou la typologie des embauches. Je vais trouver ces informations dans les frais de personnel ou les frais de formation. Plus globalement, les analystes ISR/ESG évaluent une entreprise sur la durée. Ils vont regarder la cohérence de l’entreprise dans le temps. Il m’arrive souvent de prendre les trois derniers rapports RSE et de les comparer. Si je constate qu’il y a eu des expérimentations les deux premières années, dans un secteur ou une activité spécifique et que ces expérimentations ne figurent pas la troisième année ou ne se concrétisent pas, je vais demander des explications. L’expérience m’a appris que les éléments non mentionnés sont souvent les éléments sur lesquels repose un risque potentiel pour l’entreprise.
Sandrine L’Herminier
Directrice du Pôle RSE – Labrador Conseil
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